Le hasard éditorial de ces derniers mois enrichit ma liste d’écrivains du toucher en m’invitant à lire, après Anita Pittoni, tisserande poète (http://patte-de-mouette.fr/2021/01/28/pittoni-touchante/), Aurélie Foglia, poète et peintre.
Sa trajectoire va en sens inverse de celle de Pittoni car c’est l’écriture qui a été chez elle première : « Écrire m’a appris à peindre ».
Le livre Comment dépeindre, publié fin 2020, est un retour en poésie sur son expérience de peintre où « je m’enfonce loin de moi / dans le sans mots », à même la chair du monde. Aurélie Foglia peint directement avec les doigts, principalement des arbres, de mémoire, la peinture se présentant comme un art encore plus tactile que visuel :
j’ai besoin de voir
du bout des doigts
comme
les aveugles dé
plaçant les sens
Ce recueil qui se veut « Journal d’atelier » ne se contente pas de méditer sur la pratique de la peinture. L’écriture essaie de « peindre avec la langue », comme si après avoir touché ses toiles, l’artiste éprouvait le besoin d’en laisser une empreinte verbale sur la page, réalisant singulièrement ce que dit Jean-Luc Nancy dans Corpus :
Il n’arrive rien d’autre à l’écriture, s’il lui arrive quelque chose, que de toucher. Plus précisément : de toucher le corps (ou plutôt tel ou tel corps singulier) avec l’incorporel du sens. Et par conséquent, de rendre l’incorporel touchant, ou de faire du sens une touche.
Dans les trois premières parties du recueil, Aurélie Foglia pratique une écriture qui tend à « rendre touchant » ce dont elle parle, palpant les mots comme elle palpe sa toile. Les vers courts sont posés en touches légères, espacés comme de fines branches, et la matière verbale est parfois malaxée par des jeux sonores : « je doigts », « mes doigts voix » ; « je maintiens que je fais partie de ma main ».
Mais cette performance verbale au présent se brise brutalement dans la quatrième partie du livre intitulée Vous désarticulées, car un événement dramatique a détourné le cours des choses, transformant “l’accompagnement euphorique de la peinture” en un “livre de deuil”. Une autre main, mortifère, a en effet été portée sur les peintures, et un récit imprévu s’introduit peu à peu dans le poème : pendant la période où elle écrivait son livre, Aurélie Foglia a été victime de la destruction volontaire et totale de toutes ses toiles par l’homme avec lequel elle vivait, lui arrachant symboliquement sa main vivante de peintre :
rêve trop court d’une main
qui ne coupe pas n’exploite
n’attaque ni ne s’empare
ironie de la main
prédatrice si vite revenue
(…)
l’existence je crois du mal
m’a arraché ma langue manuelle
Après ce désastre sur lequel je reviendrai dans un prochain billet, la main d’Aurélie Foglia, dans une poésie incisive et directe, a possédé la force d’assembler l’avant et l’après de l’acte destructeur pour donner au recueil son étrange et poignante unité.
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Sur le modèle d’ « homicide » ou plus récemment de « féminicide », Aurélie Foglia a bâti le mot « articide » et créé avec Maud Thiria un “collectif contre l’articide”:
“L’articide, c’est quand l’autre détruit votre oeuvre et veut vous tuer à travers elle.”
https://mailchi.mp/fe52b8436ca5/rcit-dun-articide-tw-violences-conjuguales?
Lien vers le site de l’auteure où l’on peut voir les photographies des oeuvres peintes avant leur destruction : http://www.a-foglia.com/
Cette tragédie me rappelle le mari de Germaine Tailleferre, un avocat, qui lui enjoint une tâche de secrétaire pour l’empêcher de terminer sa musique et jette de l’encre sur les partitions qu’elle doit livrer le soir même.
Je n’arrive pas à retrouver son nom !
Merci pour ce commentaire. C’est terrible ! Le mari juriste s’appelait Jean Lageat. Elle avait fait un premier mariage avec le caricaturiste américain Ralph Barton qui, également jaloux de son talent, l’a empêchée de composer pour Chaplin. Voici ma source, toute fraîche ! https://fr.wikipedia.org/wiki/Germaine_Tailleferre (fiche très intéressante)
tout cela est horrible, que de haine, que de passions tristes, c’est poignant.
Oui, et j’en découvre d’autres depuis que j’ai publié ce billet ce matin.
Je voulais dire que je me rappelle sans peine les noms de son épouse, de son mentor (de Moro Giafferi) et même de son stagiaire (Tixier-Vignancour). Mais le sien…, merci de l’info.