Le ver à soie est un animal que la littérature affectionne par son pouvoir de métamorphose en papillon. Mais c’est sa faculté de filer de la soie pour s’en revêtir qui est évoquée de manière très particulière par Cervantes dans une de ses Nouvelles exemplaires, Le Jaloux d’Estrémadure, que je résume rapidement :
Carrizales, hidalgo de la région d’Extremadura, dissipe dans sa jeunesse son patrimoine et reconstitue pendant vingt ans sa fortune au Pérou avant de revenir chargé d’or au pays. Il décide alors de se marier et prend pour épouse une jeune fille pauvre de 13 ou 14 ans afin de mieux la tenir sous sa coupe : Jamais on ne vit monastère si fermé (…) ni pommes d’or si bien gardées. Bien sûr la jeune femme saura tromper sa surveillance et Carrizales la surprend dans les bras d’un amant. Pris d’une apoplexie, il constate avant de mourir :
Yo fui el que, como el gusano de seda, me fabriqué la casa donde muriese, y a ti no te culpo ¡oh niña mal aconsejada!
C’est moi qui, tel le ver à soie, me construisis la maison où je devais mourir, et ce n’est pas toi que j’accuse, ô pauvre enfant mal conseillée ! (Traduction de Jean Cassou, bib. de la Pléiade).
Il n’y aura aucune résurrection pour le triste Carrizales qui a filé dans sa vieillesse la soie morbide de la séquestration jalouse.
Cette métaphore du ver à soie est plus volontiers – et de manière plus euphorique – liée à la création littéraire, comme le résume Michel Butor dans Légendes à l’écart que je citais l’autre jour :
Beaucoup d’écrivains ont pris comme métaphore le fil du ver à soie. Ce fil est sécrété par le ver, la chenille qui va faire un cocon qui va l’entourer, et puis une fois que le cocon sera complet, eh bien la métamorphose de la chenille en papillon va se réaliser. On peut trouver ça chez Proust et chez beaucoup d’autres. On peut très bien dire que l’écriture est une sécrétion, un fil qui se tord de toutes les façons, et un fil dans lequel il y a souvent des embranchements. Quelquefois c’est plus compliqué, on sécrète des réseaux, des dentelles. Mais c’est une métaphore très traditionnelle et très éclairante (p. 107).
Une des dernières en date à avoir filé la « métaphore éclairante » est Estela Puyuelo dans son recueil de poèmes Todos los gusanos de seda ; Tous les vers à soie, dont la version française est en préparation. L’auteure parcourt de poème en poème les cinq âges larvaires de la chenille, avant le moment où elle fabrique le cocon dont elle sortira métamorphosée.
Le pluriel « tous les vers à soie » signifie qu’il y en a de plusieurs sortes au cours d’une vie : à chaque étape on peut, comme Carrizales, filer une mauvaise soie qui nous enferme et nous tue : passion dévorante, folie destructrice, démesure ; ou au contraire : crainte paralysante, insipide tiédeur… Les chenilles d’Estela Puyuelo savent filer ce qui empêche les êtres de se développer.
Mais avec ses vers à soie pluriels, Estela Puyuelo englobe aussi l’ensemble de ses lecteurs et les encourage à prendre leur envol. Dès le premier poème chacun de nous est embarqué dans l’aventure : « En toi résident beaucoup de poèmes (…) N’aie pas peur. Sors. Bats des ailes et vole ».
« Bats des ailes et vole », me dit aussi une mouette amie.
P.S. La fonction “MailPoet” qui permet aux abonnés de recevoir une alerte par mail à la publication de chaque nouveau billet est en panne depuis 3 jours. J’ai posté le lien de celui-ci sur ma page Facebook, et voici le commentaire amusant de Jacques Robinet :
Merci Nathalie pour votre article et pour la photo (Parque del Retiro). Grande envie d’aller à Madrid. Ce sera pour début juillet, normalement.
Je pensais bien que cette photo vous plairait ! On a envie d’être une de ces mouettes. Malheureusement je n’ai pas noté le nom du sculpteur quand j’ai pris la photo en juin 2018
Miguel de Cervantes
18 de abril de 1616: 69 años.
Cervantes recibe los últimos sacramentos, trance al que se refiere así:
“Ayer me dieron la extremaunción y hoy escribo ésta. El tiempo es breve, las ansias crecen, las esperanzas menguan, y, con todo esto, llevo la vida sobre el deseo que tengo de vivir”.
Muere el 22 de abril.
Chère Nathalie, merci pour cette photo du Retiro et cette fontaine que j’avais oubliée. Pour répondre à votre question :
” Fuente escultórica donada por la Embajada de Noruega, que fue inaugurada en marzo de 1962. Es obra del escultor malagueño Jaime Fernández Pimentel, si bien la roca fue traída de La Pedriza madrileña por encargo del arquitecto Manuel Herrero Palacios. En 1999, debido al mal estado en que se encontraban las figuras, por haber sido realizadas en fundición de hierro, fueron reemplazadas por una réplica en acero inoxidable, cuyo proceso fue ejecutado por el propio autor, el escultor Fernández Pimentel”.
Un linceul en soie, luxe ultime !
Merci pour cette extrême précision ! Je ne me souvenais pas de l’avoir vue dans mon enfance, et pourtant elle y était. Vive Pimentel !