Le piano de paille de Michèle Finck

« À la place de qui écrit-on ? » demandais-je le mois dernier, avant d’évoquer les fantômes des mères muettes dont nous sommes issus.
Mais voici que l’ombre de certains pères et grands-pères avec ou sans langue s’allonge aussi derrière nous.

La poésie de Michèle Finck, également pianiste, est autant sonore que visuelle dans ce Balbuciendo issu de la mort de son père, musicien du silence.

Être hantée par la ferme du père, à Hagenbach en Haute Alsace, dans le Sundgau des Trois-Frontières. Être saisie par le nom que le père se donnait, “der Sprachlose”, “l’alingue”, parce que ni le dialecte, ni le français ni l’allemand n’ont été langue pour lui. Avoir été tôt consciente qu’il était, par la force de l’Histoire, l’écartelé entre les langues, le mutique en camisole de silence. L’avoir entendu balbutier qu’il avait appris à déchiffrer tout seul livres et partitions en gardant les vaches. Savoir qu’il aurait voulu être chef d’orchestre, peut-être pour que musique lui soit langue.

Ce père  est devenu dans la réalité, malgré les aléas de l’Histoire de l’Alsace, moins muet que dans son sentiment  : Adrien Finck, professeur renommé, traduisait des écrivains allemands et appartenait à plusieurs sociétés qui oeuvraient à la promotion des langues régionales. Mais Michèle Finck remonte un peu plus haut dans sa généalogie familiale avec cette très touchante histoire du piano de paille (“l’enfant” est le nom qu’elle se donne ici) :

Rarement s’endormir sans se remémorer l’histoire du piano de paille : le père de l’enfant l’avait construit de ses mains, avec de la ficelle et du foin de cette même grange du haut de laquelle son propre père était tombé sur la tête, après quoi il avait été trépané et était devenu fou ; par un bricolage ingénieux les fragiles touches du piano de paille s’enfonçaient sous les doigts avec la douceur utérine d’un vieux Steinway ; le père avait joué sur ce clavier tremblant et silencieux l’épure de toutes les partitions du répertoire. Pressentir qu’il faudra un jour assumer le legs étrange du piano de paille : en raconter l’histoire qui, comme toutes les histoires d’amour remontant à l’enfance, a quelque chose de sacré. (…)

Maintenant que le père est mort,(…) avoir la certitude que le piano de paille réclame ma langue et que je la lui donnerai toute jusqu’au bout (…).

Bientôt sur ce blog : Etel Adnan, “Ecrire dans une langue étrangère”.

Ce contenu a été publié dans Non classé. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *