Petites notes pour petits mots

Presque

Voici un mot de rien du tout qui en dit beaucoup.
Quand Monique a appris la semaine dernière qu’un de ses amis se proposait pour disperser les cendres de son mari Charles Mérigot – l’éditeur de la Ramonda* qui vient de s’éteindre – dans la sierra de Guara qu’il aimait tant, elle m’a écrit : « J’en ressens presque de la joie ».

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Cela m’a rappelé la phrase de maman le soir du jour où, six mois après la mort de sa fille Sibylle, nous nous sommes réunis pour lui souhaiter sa fête avec un livre contenant les témoignages d’affection de tous ses amis : « Aujourd’hui j’étais presque heureuse ».

* Pour plus de détails sur cette maison d’édition aussi originale que son regretté patron, voir sur ce blog un billet de 2017 : https://patte-de-mouette.fr/2017/10/31/la-maison-des-langues/

Petit

Je comprends mal les poètes qui se méfient des adjectifs au point de ne les tolérer qu’en position de rejet. Un certain usage du mot petit m’attache, par exemple, à l’œuvre de Supervielle. Je ne chercherai pas dans une si petite note à donner des exemples, mais cet adjectif, présent ou absent, me semble y résonner partout, malgré les grands espaces dont elle est peuplée. Supervielle fait peut-être partie des écrivains qui « ont besoin de leur petitesse pour sentir », selon l’expression de Henri Michaux.

L’évocation de la petitesse me touche aujourd’hui encore plus que d’habitude chez Michaux, sans doute parce que nous entrons dans une époque où se dérouleront des combats de géants que nous serons amenés à vivre en fourmis.

(Je reviendrai sur l’adjectif petit chez Michaux dans un autre billet).

 

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8 réponses à Petites notes pour petits mots

  1. marie-paule Farina dit :

    puisqu’il est question de fourmi je me permets de citer la fin de la lettre d’étrennes que Sade, enfermé à Vincennes, envoie le 26 janvier 1782 à son amie provençale Milli Rousset: ” Eh ! Laisse-la tes folles subtilités ! jouis, mon ami, jouis et ne juge pas…jouis, te dis-je, abandonne à la nature le soin de te mouvoir à son gré et à l’Éternel celui de te punir. Si tu ne t’es trouvé qu’un infracteur, humble fourmi croupée sur cette motte de terre, traîne ton fétu au magasin, fais éclore tes œufs, nourris tes petits, aime-les, ne leur arrache pas surtout le bandeau de l’erreur : les chimères reçues, je te l’accorde, valent mieux pour le bonheur que les tristes vérités de la philosophie.
    Jouis du flambeau de l’univers : c’est pour éclairer des plaisirs et non pas des sophismes, que sa lumière brille à tes yeux. N’use pas la moitié de ta vie aux moyens de rendre l’autre malheureuse et après quelques années de végétation sous cette forme assez bizarre, quoi qu’en puisse penser ton orgueil, endors-toi dans le sein de ta mère pour te réveiller sous une autre conformation et cela par de nouvelles lois que tu n’entends pas mieux que les premières.
    Songe, en un mot, que c’est pour rendre heureux tes semblables, pour les soigner, pour les aider, pour les aimer, que la nature te place au milieu d’eux et non pour les juger et les punir et surtout pour les enfermer.
    Si ce petit morceau de philosophie peut vous plaire, j’aurai la satisfaction, mademoiselle, de vous en donner la suite aux étrennes prochaines. Sinon, vous voudrez bien me le faire dire et nous choisirons quelque sujet plus analogue à la gaieté de l’esprit d’un sexe dont vous faites l’ornement et dont je me ferai gloire d’être toute ma vie, ainsi que de vous, mademoiselle, le très humble et très obéissant serviteur
    Des AULNETS (Sade est nu? nul?)
    Du poulailler de Vincennes, ce 26 janvier, au bout de cinquante neuf mois et demi de pressurage et sans succès, en vérité.

  2. robinet dit :

    D’être si petit et capable d’appréhender l’immensité de l’Univers sans trop de vertiges!
    Seuls les petits sont capables d’éblouissement et d’ouverture. Michaux, je le crois, a lutté toute sa vie pour ne pas se laisser envahir par les “grandeurs” : prix, hommages etc… (voir le dernier blog de P. Corneau) pour demeurer petit… attentif.
    Très touché par l’évocation de Huguette, ta mère, que j’admirais.
    Un abrazo

    • Merci, Jacques. Essayons d’être des fourmis.
      Michaux : “Cherche à te passer de “leur” appui. Dès l’instant que tu cries au secours, tu perds tes moyens, tes réserves secrètes disparaissent, tu n’existes plus. Tu coules.”

  3. ESTERLE dit :

    Quelques jours après les funérailles de mon frère, je suis allée voir ma belle-sœur chez elle. Elle venait de perdre brutalement l’homme qu’elle aimait et se retrouvait dévastée et abasourdie, dans le silence de la maison où il nous semblait à toutes les deux qu’il allait apparaître à chaque instant. Elle m’a dit : “Je garde espoir”.
    J’ai compris “espoir de le revoir”, malgré la crémation de son corps quelques jours auparavant. Invraisemblable, irréaliste, oui sûrement, comme la joie et le presque bonheur de celles qui perpétuent la vie des disparus et la force de leur souvenir.

  4. Dany Pinson dit :

    Votre ”Presque”, Nathalie, m’a beaucoup touché. Avec bien des années de retard, ajoutez pour moi discrètement une petite pierre blanche à l’album pour Sibylle.

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