Des monuments avec Baudelaire

Eh bien non, les grues rouges insolentes du plasticien Iván Argote n’ont pas encore fini de se déplacer dans ma tête.

P. me montre très à propos cette critique d’art de Baudelaire tirée du Salon de 1859, VIII, Sculpture :

Vous traversez une grande ville vieillie dans la civilisation, une de celles qui contiennent les archives les plus importantes de la vie universelle, et vos yeux sont tirés en haut, sursum at sidera ; car sur les places publiques, aux angles des carrefours, des personnages immobiles, plus grands que ceux qui passent à leurs pieds, vous racontent dans un langage muet les pompeuses légendes de la gloire, de la guerre, de la science et du martyre. Les uns montrent le ciel, où ils ont sans cesse aspiré ; les autres désignent le sol d’où ils se sont élancés. Ils agitent ou contemplent ce qui fut la passion de leur vie et qui en est devenu l’emblème : un outil, une épée, un livre, une torche (…)

Tel est le rôle divin de la sculpture.

Bien sûr, ajoute Baudelaire, cette critique ne s’applique pas à l’art de l’Egypte, ni à celui de la Grèce, ni à celui de Michel Ange, précis comme une science, prodigieux comme le rêve”, ni à toutes les oeuvres qui proviennent d’une “puissance d’expression” et d’une “richesse de sentiment, résultat inévitable d’une imagination profonde” (…)

On conviendra que la statue Du Maréchal Galliéni par Jean Boucher procède moins d’une “imagination profonde” que d’une “pompeuse légende” avec son socle de femmes multiraciales. Si au moins on avait représenté le personnage sur le toit d’un taxi parisien, pour rappeler ceux qu’il a fait réquisitionner pour contribuer à la victoire de l’Ourcq en 1914…

Il paraît que cette statue est régulièrement maltraitée par des militants anticolonialistes : peinture rouge, voile noir comme ci-dessus, inscription “Au musée” (ce qui ne serait pas une mauvaise idée), etc.

 

 

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4 réponses à Des monuments avec Baudelaire

  1. Robinet dit :

    Voiler ce qui nous gêne, qu’on ne supporte pas de voir, telle est l’origine des plus violents refoulements. C’est la meilleure façon de ne rien questionner, de ne rien vouloir savoir. Cela remplace l’effort patient des historiens, annule le temps pour comprendre. Attention aux retours du refoulé. Tant de pudeur exhibée s’apparente fort bien des crimes actuels !

    Un abrazo

  2. Tania dit :

    En Belgique, ce sont les statues et bustes de Leopold II qui sont régulièrement vandalisés, voire mis de côté dans les musées.
    La citation de Baudelaire me rappelle le souhait de Rodin pour le monument aux Bourgeois de Calais : qu’il soit présenté très haut – pour que les figures se détachent sur le ciel – ou sur le sol, « à même les dalles de la place, comme un vivant chapelet de souffrance et de sacrifice » (comme on peut le voir dans le jardin du musée Rodin).

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