Un singulier palimpseste

Pour L.

Le mot « articide » a été forgé par la poète Aurélie Foglia pour désigner, après la destruction totale de son œuvre peinte par son conjoint en 2018, une sorte d’homicide :
« L’articide, c’est quand l’autre détruit votre oeuvre et veut vous tuer à travers elle. »
 Aurélie Foglia  a créé en 2022, avec Maud Thiria, un « Collectif contre l’articide ».

***

Ce tableau, intitulé Praxitella, que j’ai vu récemment à la Courtauld Gallery à Londres, a été peint en 1921 par Wyndham Lewis (1882-1957), fondateur et chef de file du Vorticisme, mouvement considéré comme un prolongement du cubisme, actif en Grande-Bretagne au début du siècle dernier.

Si l’on en regarde de près la surface, on trouve, à travers certaines craquelures, des traces de pigment rouge.
Intrigués, les responsables de la collection ont fait passer le tableau aux rayons X en 2022, ce qui a donné ceci :

Sous la Praxitella de Lewis se trouvait une toile, intitulée Atlantic city, qu’avaient cherchée les historiens d’art et que l’on croyait perdue. Elle est l’œuvre d’Helen Saunders (1885-1963), une peintre pleinement reconnue dans les milieux de l’art et qui participa à l’exposition inaugurale du Vorticisme.

Voici ce que donne une reconstitution du tableau original :


Un cartel explique : Helen Saunders est entrée en relations avec Wyndham Lewis vers 1912. Tout en menant sa carrière de peintre et en possédant pendant la guerre un emploi à plein temps dans un bureau gouvernemental, elle servait gratuitement d’assistante à Lewis.

Après la guerre, il met fin brutalement à leurs relations.

Des années plus tard ils se revoient occasionnellement. Wyndham Lewis dit que Helen Saunders est  “très douée”, et qu’il la tient en haute estime.

C’est sans doute la raison pour laquelle il a recouvert son oeuvre de sa propre peinture.

Et qu’il a commis, tout en préparant ses couleurs et en accueillant le  modèle de Praxitella, un articide qui ne fut ni vu ni connu pendant un siècle.

 

 

 

 

 

 

Ce contenu a été publié dans Non classé. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

6 réponses à Un singulier palimpseste

  1. François LE GUENNEC dit :

    Une enquete passionnante, comme toujours. Et j’admire votre éclectisme.

  2. robinet dit :

    Je crains que’ l’articide ‘ ne fasse fureur aujourd’hui où tant de médiocrité tapageuse s’efforce d’effacer ou de faire taire de vrais artistes qu’ils submergent de leur vulgarité. Je n’ai pas vu les tableaux que tu nous révèles, mais à l’évidence le caché rayonne sous la représentation rigide et hostile de Lewis (ce masque de sorcière métallique et glacé). Il est vrai que toute approche de l’art est subjective ! La mienne en premier.
    Un abrazo

  3. Miguet dit :

    Très intéressante patte comme toujours, avec la question de l’articide :
    Détruire l’œuvre de l’autre, recouvrir l’œuvre de l’autre, ridiculiser lœuvre de l’autre, l’empêcher de créer matériellement ( reunir les conditions de temps d’espace pour que cela ne soit pas possible) ou psychologiquement …c’est chercher à anéantir l’autre
    Ça me parle

Répondre à Nathalie de Courson Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *