Mes parents avaient à Madrid des amis extraordinaires nommés André et Almudena Magne, dont je parlerai peut-être ici un jour.
Grâce à ces amis, ils ont connu des peintres et des sculpteurs nommés Amadeo Gabino, Manuel Molezún, Antonio Saura (frère du cinéaste), Manuel Hernández Mompó (qui signe ses oeuvres Mompó). Tous ces gens formaient une bande sympathique qui me fascinait quand ils déjeunaient chez nous (ça a dû se produire une fois mais mon souvenir a multiplié cette fois par 10).
J’ai retrouvé dans les affaires de mes parents ce dessin presque effacé de Manolo Molezún (1920-2001) assis à la table de mes parents en train de manger du poulet. En regardant bien, on distingue en haut à gauche le profil de Molezún avec ses lunettes noires et son nez en trompette, et à droite la grosse moustache d’Amadeo Gabino (1922-2004). La légende du dessin est : « ‒ ¿Un cuellito, Amadeo? – No, un pechito. » (Il me semble que le robuste Amadeo a raison de préfèrer le blanc au cou du poulet.) Ils parvenaient à rester chaleureux, créatifs et joyeux sous un régime qui ne favorisait pas la joie (il faut dire qu’ils se déplaçaient en Europe et en Amérique). Aucun d’entre eux, si ma mémoire est bonne, n’avait épousé de femme espagnole.
Voici maintenant le portrait d’une petite fille sage par Mompó (1927-1992). Je me souviens qu’il m’a libérée assez vite.
Pour arrondir ses fins de mois, il faisait parfois des portraits d’amis dans une manière moins expérimentale que ses propres créations. (C’est moi qui ai rogné le portrait dans sa largeur.)
Ce goûter d’enfants se trouve au musée d’Art contemporain de Palma de Majorque alors que le portrait de la fillette a fini par arriver chez moi.
Quant à Antonio Saura (1930-1998), très éprouvé dans son enfance par la guerre civile après avoir vu dans la rue un homme fauché par une rafale de mitraillette, puis atteint de tuberculose osseuse, il a navigué entre l’Espagne, Paris et Cuba, et peint une œuvre poignante, beaucoup plus sombre que celle de ses amis. Je suis en particulier impressionnée par ses “Perros de Goya” (chiens de Goya). https://fr.wikipedia.org/wiki/Antonio_Saura
Comme c’est étrange et émouvant de se retrouver soudain transporté en compagnie d’Almudena et André Magne qui furent aussi de grands amis de mon enfance. André impressionnait beaucoup maman en faisant du yoga, renversé, les pieds contre le mur! Almudena en cette période obscure m’évoquait Françoise Sagan par sa liberté de ton et sa fantaisie si peu conventionnelle…. En revanche, je n’ai pas eu la joie de voir à ma table ces artistes dont j’ai entendu parler. Peu de temps avant sa mort, j’ai eu la joie de visiter avec ma mère une magnifique restrospective de Saura au musée Reina Sofia ! Que de souvenirs en commun ! Un abrazo !
Quelqu’un qui connaissait et appréciait aussi beaucoup les Magne, c’est Fouad El-Etr.
Plus qu’une photo, cette sanguine de la petite fille sage est chargée d’histoire et d’émotion, comme ce qui a trait à l’enfance et à l’Espagne. Ces bras croisés : une attente, un défi ?
J’espère que François Magne découvrira un jour ce billet et y donnera suite.