Dans l’autobus assez plein monte une femme algérienne accompagnée de quatre enfants : un de quatre ans, un en poussette, une dans les bras, et une de deux ans qui se tortille debout près de la poussette. La femme est jeune et simple, si sereine que pendant trois ou quatre stations personne ne songe à lui céder sa place. Une autre jeune femme finit par le faire.
Arrive un ivrogne efflanqué à casquette, homme d’un autre siècle surgi des Pieds nickelés ou d’un livre de Charles-Louis Philippe. Il grommelle : « Fallait me laisser la place. C’te femme-là, elle est pas de chez nous, on donne pas sa place à une qu’est pas de chez nous.» La femme qui avait cédé son siège réplique : « C’est les racistes qui n’ont rien à faire dans ce bus. » La jeune mère dit : « Merci Madame. » Croquignole grommelle. Un jeune homme assis lui dit : « Non mais t’arrêtes ? Si tu continues je te casse la gueule. » Silence dans le bus. Croquignole maugrée plus doucement. Une place à côté du jeune homme se libère. Croquignole s’y installe largement et re-grommelle. Nous retenons notre souffle. Le jeune homme dit : « Tu pues de la gueule. T’arrêtes de parler et de me souffler à la figure ou je te casse la gueule. » On entend encore quelques grognements, quelques « tu pues de la gueule »…
Et le calme revient dans l’autobus.
savoureuses scènes de la vie quotidienne. Merci Nathalie et continue pour notre plus grand plaisir
Merci pour cet encouragement qui me fait plaisir.Ce qui m’a réconfortée, dans cette petite tranche de vie parisienne, c’est de voir que tout le bus était silencieusement contre Croquignole.
Admirable . Tout y est : l’accablement, le racisme, la puanteur et… même la générosité !
Mais ça ne donne pas trop envie de retrouver Paris et de monter dans les bus !
Un abrazo
Ce qui m’amuse, c’est que j’étais quelques heures avant dans les Pyrénées au milieu d’Aragonais qui, quand ils apprenaient que je venais de Paris disaient : “Oh lala”, comme on dit : “la classe !”
Je vis à Séoul. En ce mois d’août, la température extérieure est de l’ordre de 33°C avec une humidité proche de 100%. Mais dans les autobus, la climatisation semble être invariablement réglée à -20°C, soit la température moyenne en janvier.
“Naemsae nandaaaa” (냄새난다) : c’est le cri du cœur que poussent en choeur et en se pinçant les narines les Coréens – génétiquement immunisés contre la transpiration, comme la plupart des Asiatiques – quand, après dix minutes d’attente en plein soleil, je monte enfin dans le congélateur roulant qui dessert la ligne 402, et que ma silhouette pachidermique envahit la surface et le volume qu’occuperaient normalement quatre ou cinq usagers coréens. Traduction: “putain, ça pue”.
Quant aux complaintes sur la surface que j’occupe pour le même prix qu’un Coréen, je ne sais pas, mais j’imagine que ce n’est pas très sympathique non plus.
Au bout de cinq minutes, la climatisation polaire fait son effet. Ma transpiration s’estompe. Les Naemsae nandaaa aussi. Je ressors de l’autobus penaud comme une mère de famille algérienne. Et remonté comme un ivrogne à casquette.
Difficile, Séoul au mois d’août. Bon courage, mon Bill 🙂
Petit tableau à accrocher en face du vôtre : il y a quelques mois, dans un wagon de métro bondé, je suis poussé par la foule en face d’une SDF très malodorante qui occupait deux sièges, un pour elle-même, un autre pour son barda. Une dame âgée (et courageuse, ou inconsciente, ou anosmique) demande poliment à la vagabonde de poser son sac par terre pour lui permettre de s’asseoir. Réponse de la clocharde : non, par terre, c’est sale.
J’ai les cheveux blancs mais je tiens fermement sur mes cannes. Je suis surpris par le nombre de fois où, dans le métro, de jeunes femmes m’offrent leur siège, que je refuse gracieusement. Les jeunes hommes font mine de dormir, ou d’être absorbés par la contemplation de leur smartphone.
Enfin, merci pour la photo de Croquignol, qui me donne envie de courir chez Colette commander quelques albums. Un abrazo.