Qu’on me permette de revenir sur un sujet qui me tient à cœur : notre besoin humain d’entendre raconter des histoires (http://patte-de-mouette.fr/2020/07/12/pati-doudou/). Car soudain je me demande quelle différence il y a entre le premier vers de la chanson “Ma Doudou est partie tout là-bas”, et la phrase que, selon Breton, Paul Valéry refusera toujours d’écrire : « La Marquise sortit à cinq heures ». Est-ce qu’après m’être intéressée à la littérature de « l’ère du soupçon », selon l’expression de Nathalie Sarraute, mes goûts me portent, l’âge venant, vers les conventions du réalisme et des formes narratives surannées ?
Je ne crois pas. Les phrases « Ma Doudou est partie tout là-bas », et « La Marquise sortit à cinq heures » se ressemblent vaguement mais ne disent pas du tout la même chose. Qu’importent la classe sociale et l’heure de départ de ma Doudou ? Ce qui est bouleversant, c’est que « ma Doudou », mon amoureuse, mon enfant, ma maman, ma nourrice, la source de tout ce qui est tendre et de tout ce que je peux serrer dans mes bras… soit partie là-bas, de l’autre côté de la mer, au bout du monde, au ciel, en un lieu où je ne pourrai sans doute plus jamais la retrouver.
A-t-on besoin que la littérature nous donne beaucoup d’autres émotions ?
Et sommes-nous si loin de Nathalie Sarraute ?
Un profond sentiment d’exil habite Tropismes*, puis se décline poétiquement, au fil des romans, en images de pavés caressants, de vieux ponts moussus sur lesquels on aime passer la main, de petits auvents de bois découpé comme les maisons russes de l’enfance, autant de transfigurations d’une forme de « pati Doudou » qui diffuseront leur lancinante nostalgie sur l’ensemble de l’œuvre.
* Les tropismes qui constituent ce premier livre, puis toute l’oeuvre de Sarraute, sont des “impressions très vives produites par certains mouvements, certaines actions intérieures sur lesquelles mon attention s’était fixée depuis longtemps. En fait, me semble-t-il, depuis mon enfance » (L’Ere du soupçon, Préface, p. 1553).
J’ai connu ta “doudou” et tu as connu la mienne! Inoubliables: leur présence, leur douceur, ce qui nous parvient encore de “l’autre côté de la mer”. L’amour ne meurt pas.
Un abrazo
Oui, et même si nos “Doudous” avaient été de froides Marquises sortant à cinq heures comme la mère de Nathalie Sarraute, notre nostalgie de douceur et de ce qui est de l’autre côté de la mer serait encore là.
Un abrazo
La marquesa de la Ensenada salió a las cinco de la tarde,
A las cinco en punto de la tarde.
… para una cita en la calle Serrano con el almirante Carrero Blanco que en paz descanse.