(à propos d’Eclat du fragment de Bai Chuan)
Un jour, je classerai les écrivains en fonction de la texture de leur peau d’écriture. Il y aura les diaphanes, les soyeux, les moelleux, les poreux, les vernissés, les vieux cuirs, les rugueux, les raboteux, les rocailleux…
Et je consacrerai une étude spéciale à Éclat du fragment de Bai Chuan : l’originalité de ce livre tient à ce que l’auteur s’efforce d’enduire son texte d’une laque qu’il s’emploie simultanément à faire sauter.
Bai Chuan est le pseudonyme chinois d’un auteur écrivant en français et disant être le produit d’une double culture. Un des intérêts du livre est d’ailleurs de s’inscrire dans un genre littéraire chinois, le sanwen, ensemble de proses brèves d’une composition très libre et à la croisée des genres : essais « à sauts et gambades », souvenirs de famille, portraits, récits de voyages, simples impressions.
Si l’on peut encore, avant d’ouvrir le livre, prendre le mot “éclat” dans le simple sens d’« intensité lumineuse », un coup d’œil sur la table des matières nous tire vers d’étranges redondances.
Le livre est composé de trois parties intitulées Éclisses, Éclats (au pluriel cette fois), Esquilles.
L’éclisse ̶ où l’on entend lisse ̶ désigne les flancs vernis d’un instrument de musique, mais aussi un éclat de bois, et un bandage pour maintenir un os fracturé. L’esquille, provenant du grec skhizein, fendre (racine du mot « schizophrénie »), est également un copeau de bois, ou le petit fragment qui se détache d’un os fracturé.
Et on observe dans le livre la présence d’une fracture à la fois pansée et mise à nu. Continuer la lecture