Havresac

Des mots parfois me grattent la tête. Mercredi dernier, c’était le cas (je ne sais plus pourquoi) du mot havresac, quand je suis entrée dans une librairie acheter Les Tristes d’Ovide. Je voulais voir le contraste avec L’Art d’aimer que je viens de lire avec beaucoup de plaisir. La situation d’Ovide ressemble un peu à celle du Sade dépeint par Marie-Paule Farina. Il a payé d’un long exil un livre libertin de jeunesse (d’ailleurs très drôle, et plutôt innocent à nos yeux d’aujourd’hui.)

À la caisse de la librairie, un jeune vendeur m’a demandé si je voulais un sac. J’ai répondu: “Non merci, je vais le mettre dans mon havresac”. Puis je me suis demandé tout haut : “Qu’est-ce que ça veut dire, au juste, un havresac ?” Le vendeur m’a répondu, rêveur :  “Pour moi, c’est un grand sac où on met tout ce qu’on a dans la tête”.

Puis il a cherché le mot sur son téléphone mais je n’ai pas besoin d’autre définition que la sienne.

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Choses que l’on n’entendra bientôt plus

‒ Une fenêtre en bois que l’on ferme.
‒ Un coupe-papier en action.
‒ La percussion d’une machine à écrire et la petite sonnerie de la fin de ligne.
‒ L’expression « taper à la machine ».
‒ La sonnerie d’un téléphone fixe.
‒ La voix gouailleuse de la vendeuse d’andouille du marché qui crie : « ça ravigote ».
‒ Le mot gouailleur.
‒ L’expression avoir du chien.

Etc.

Dictionnaire CNRTL : Avoir du chien
1. [En parlant d’une femme] Avoir un charme quelque peu provocant, être attirante. À Paris dès qu’une femme dit qu’elle est belle, qu’elle a du chic, du zinc ou du chien, tout le monde la croit sur parole et prend feu (MERIMEE, Lettres à Madame de Beaulaincourt,1870, p. 35).
2. P. ext. [En parlant d’une chose] C’est aussi la chapelle nocturne que je connais le mieux (…) Elle a plus de chien, plus d’âme et plus de résonance (FARGUE, Le Piéton de Paris,1939, p. 25).
3. Vx. [En parlant d’un artiste et, en partic. d’un comédien] Faire preuve d’un talent brillant (cf. ZOLA, Nana, 1880, p. 1330).

Une femme artiste qui a du chien a-t-elle un charme quelque peu provoquant ou fait-elle preuve d’un talent brillant ?

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Avec Sancho Panza

Mon ami Daniel m’envoie par WhatsApp ces photos de la station de métro Plaza de España à Madrid, sur les murs de laquelle des chapitres de Don Quichotte sont imprimés en petits caractères.


« On risque de louper son métro », lui réponds-je.

« Et un torticolis », observe-t-il avec réalisme.

Je me demande avec non moins de réalisme qui va lire ces colonnes minuscules.

Je suggèrerais plutôt quelques bons proverbes de Sancho Panza écrits bien gros, comme :

Vayase el mundo a la sepultura y el vivo a la hogaza. 
Que le mort aille à sa tombe et le vivant à sa miche de pain. (I, 19) 

Ou, quand Sancho s’échauffe et s’embrouille un peu :

(…) Entre dos muelas cordales nunca pongas tus pulgares », y « a idos de mi casa y qué queréis con mi mujer, no hay responder », y « si da el cántaro en la piedra o la piedra en el cántaro, mal para el cántaro. » (II, 43).

 Ne mets pas ton doigt entre le marteau et l’enclume et Hors de chez moi fripon, que cherchais-tu dans ces jupons ? et Si le pot de terre se cogne contre le pot de fer ou le pot de fer contre le pot de terre, tant pis pour le pot de terre. » (Traduction Jean Canavaggio).

Ou cette réflexion de Don Quichotte dont je ne me lasse pas :
Todos los vicios, Sancho, traen un no sé qué de deleite consigo ; pero el de la envidia no trae sino disgustos, rancores y rabias. (II, 8).
Tous les vices, Sancho, apportent avec eux un je-ne-sais-quoi de plaisir, mais l’envie n’apporte que désagrément, rancœur et dépit.

Monument à Cervantes sur la Place d’Espagne à Madrid

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Pendant et après l’insomnie

Pendant 

Des filandres de souvenirs 

Comment s’appelait ? Qu’est devenu ? Il y a 15 ou 20 ans que ? (…)

Un filandre de pensée sérieuse

(

Une résolution morale 

Gardons-nous de tout jugement généralisateur et définitif sur un pays, quelles que soient les visées impérialistes de ses dirigeants actuels. Henri Michaux a publié en 1933 sur le Japon des choses très dures et très injustes qu’il a regrettées ensuite.

Après 

Recherche diurne sur Michaux 

Un Barbare en Asie :
Le texte a été beaucoup remanié par l’auteur dans des rééditions successives, et voici une dernière préface à « Un Barbare au Japon » que Michaux a ajoutée quelques mois avant sa mort :

Je relis ce barbare-là avec gêne, avec stupéfaction par endroits. Un demi-siècle a passé et le portrait est méconnaissable.
De ces fâcheuses impressions d’un voyageur déçu, reste peut-être par-ci par-là une notation « historique » pour des lecteurs qui voudront retrouver quelque chose d’une de ces singulières périodes d’avant-guerre, que dans la suite on n’arrive plus à ressentir, à imaginer même, tant « l’air du temps », un air particulièrement chargé, leur a conféré de signification pesante, englobante et déviante.

“Mitsuhirato gun” (Tintin Wiki I Fandom). “Tintin et le lotus bleu” a été publié par Hergé en 1936.

Ce Japon d’aspect étriqué, méfiant et sur les dents est dépassé.

Il est clair à présent qu’à l’autre bout de la planète, l’Europe a trouvé un voisin.
Ses multiples recherches, l’actualité de ses œuvres, sa curiosité sans bornes en tant de domaines de science et d’art – et les plus nouveaux – où on s’entre-regarde, émules ou admirateurs, suscitent une étrange connivence qui augmente.

H.M. Mai 1984.             (Oeuvres Complètes, 1, Pléiade, p. 387.)

Henri Michaux n’a pas fait disparaître la partie d’Un Barbare en Asie dont il avait honte. Il a fermement exprimé sa gêne et contextualisé l’ensemble. Gallimard a suivi.

C’est ce que ne font pas les éditeurs de Roald Dahl qui abusivement changent les mots d’un texte sur lequel l’auteur, dans sa tombe, ne peut plus rien.

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Choses énervantes

Choses un peu énervantes 

– Les employés de banque qui, lors d’un rendez-vous, ont des problèmes de connectique.
– Le mot connectique, et d’autres mots en -ique.
– Les salons de coiffure qui s’appellent Nathalie (il y en a encore quelques-uns.)
– Les gens qui disent d’un air pénétré : « le Grand Stéphane Mallarmé » ; ou au contraire, gouailleurs : « Ce brave Stéph ».
– L’expression « ça vaut son pesant de cacahuètes », qui repose sur une autre expression : « ça vaut son pesant d’or ». Le redoublement d’ironie me tue l’ironie.
– L’expression : « C’est un peu short ». J’ai dans mon immeuble un copropriétaire qui l’emploie fréquemment (« c’est un peu short, comme appel d’offres »), et qui gonfle son vélo dans la cour de l’immeuble en tongs et bermuda mollasson. Je crois qu’il dit aussi quelquefois : « ça vaut son pesant de cacahuètes »).

Chose très énervante

Perdre un gant.
Quand les chevaliers jetaient leur gant pour provoquer en duel, le récupéraient-ils s’ils étaient vainqueurs ? (Ils manqueraient de panache à le réclamer.)

Chose engendrant un sentiment de mélancolie

Trouver dans le sable par un jour de brume un gant noir inconnu.

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Un singulier palimpseste

Pour L.

Le mot « articide » a été forgé par la poète Aurélie Foglia pour désigner, après la destruction totale de son œuvre peinte par son conjoint en 2018, une sorte d’homicide :
« L’articide, c’est quand l’autre détruit votre oeuvre et veut vous tuer à travers elle. »
 Aurélie Foglia  a créé en 2022, avec Maud Thiria, un « Collectif contre l’articide ».

***

Ce tableau, intitulé Praxitella, que j’ai vu récemment à la Courtauld Gallery à Londres, a été peint en 1921 par Wyndham Lewis (1882-1957), fondateur et chef de file du Vorticisme, mouvement considéré comme un prolongement du cubisme, actif en Grande-Bretagne au début du siècle dernier.

Si l’on en regarde de près la surface, on trouve, à travers certaines craquelures, des traces de pigment rouge.
Intrigués, les responsables de la collection ont fait passer le tableau aux rayons X en 2022, ce qui a donné ceci :

Sous la Praxitella de Lewis se trouvait une toile, intitulée Atlantic city, qu’avaient cherchée les historiens d’art et que l’on croyait perdue. Elle est l’œuvre d’Helen Saunders (1885-1963), une peintre pleinement reconnue dans les milieux de l’art et qui participa à l’exposition inaugurale du Vorticisme.

Voici ce que donne une reconstitution du tableau original :


Un cartel explique : Helen Saunders est entrée en relations avec Wyndham Lewis vers 1912. Tout en menant sa carrière de peintre et en possédant pendant la guerre un emploi à plein temps dans un bureau gouvernemental, elle servait gratuitement d’assistante à Lewis.

Après la guerre, il met fin brutalement à leurs relations.

Des années plus tard ils se revoient occasionnellement. Wyndham Lewis dit que Helen Saunders est  “très douée”, et qu’il la tient en haute estime.

C’est sans doute la raison pour laquelle il a recouvert son oeuvre de sa propre peinture.

Et qu’il a commis, tout en préparant ses couleurs et en accueillant le  modèle de Praxitella, un articide qui ne fut ni vu ni connu pendant un siècle.

 

 

 

 

 

 

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Jeunes Chinois de France (suite)

Tingting

Message de Laurence à ses collègues 

J’ai longuement parlé aujourd’hui avec Tingting qui est complètement au bout du rouleau. Elle est désespérée par ses notes, se trouve « conne » (dixit), d’autant plus qu’elle est une fille, et petite par-dessus le marché. Elle ne comprend rien au lycée et a l’impression de n’avoir plus de cerveau. Elle m’a avoué qu’elle était tombée dans les escaliers vendredi tellement elle était fatiguée, et a TRÈS peur d’être expulsée de France. D’où sa panique totale quand elle voit ses notes car on lui a dit que sa seule chance de rester en France était qu’elle travaille bien.
Je l’ai rassurée comme j’ai pu. Pourrions-nous, chacun à notre manière, l’aider un peu ?

Portrait de Tingting 

Elle est en effet une fille, et petite. Elle a une tête ronde, des yeux ronds, un visage expressif comme celui d’un Pierrot, passant très vite de la joie enfantine au sérieux ou à la douleur. Un visage de film muet qui attache un cinéaste et irrite un sadique.
Tingting, malgré tous ses efforts, n’arrive pas à prononcer le r derrière une autre consonne, en particulier le f ou le v. Sa hantise est le mot février : pendant ce mois, elle n’ose pas prendre un rendez-vous de médecin pour sa mère non francophone et chroniquement malade.

Le destin provisoire de Tingting

Tingting récite pour moi la crrrenouille voulant se faire aussi crrrosse que le bœuf, sourcils froncés, regard féroce, lèvres en avant, voix grondante :

La chétive pécore
S’enfla si bien qu’elle crrrrreva.

Je lui dis : « Je crois que La Fontaine aurait aimé ».

Quelques semaines après le message de Laurence, Tingting apprenait qu’elle était régularisée en France, non parce qu’elle « travaillait bien », mais parce qu’elle était arrivée avant l’âge de 13 ans. Son prestige auprès de certains camarades, arrivés parfois à 14 ans, s’en est trouvé accru. Mengru s’est mise à lui faire des compliments sur ses chaussures.

 

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Jeunes Chinois de France

Tout au long du XXème siècle, puis entre 2000 et 2017, la France a connu une abondante immigration chinoise de personnes venant notamment de Wenzhou, agglomération de la province du Zhejiang, au sud de Shangaï. Beaucoup se sont installés à Paris dans le commerce du textile ou de l’alimentaire.
J’ai enseigné le français à leurs enfants, et j’ai appris à connaître ces adolescents dotés d’un bon sens de l’humour et des réalités, mais discrets, sensibles, en butte à l’agressivité d’autres communautés.
Les observations qui suivent ont été écrites entre 2010 et 2017. Peut-être les choses ont-elles, en cinq-six ans, sensiblement évolué. Je l’espère.

1. Leilei

Je lis la rédaction de Leilei sur le « Rossignol » de Ronsard :
Le poète est un petit oiseau discret du village mais non un grand oiseau que tout le monde connaît comme l’albatros. D’après cela, je sais que le poète est discret. Et moi je préfère d’être discret que d’être brillant.
Tellement discrète, Leilei, que deux mois plus tard elle s’est envolée du lycée, comme trois autres Chinois de la première S.
Vie active, dit-on.

2. Yu

A la fin d’un cours de français, le jeune Yu, dont le « tonton » (je ne sais pas au juste qui sont ces tontons) tient un restaurant ouvert jusqu’à minuit, me confie quand les autres sont partis : J’ai vu un poème dans le métro. Le poème dit : « Quand je serai petit je me mettrai dans un sac plein de plumes ». J’aime ce poème.
(A suivre)

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Et comme en post scriptum du billet précédent

La bouteille

Et si tu n’étais plus
Qu’une bouteille imaginée ?

Bien sûr, la même ligne,
Ta couleur de bouteille,
La lumière au travers,
L’horizon pour patrie.

Parti, ton contenu
De vin, de tourbillon
Versable dans le verre,

Rien qu’un spectacle
Inoffensif.

Guillevic, Sphère, Poésie/Gallimard, p. 41.

 

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Couveuses

« Pour faire de l’eau de vie de poire, m’explique Yves en buvant sa goutte avec son café, on introduit, directement sur le poirier, un bourgeon dans une bouteille que l’on accroche avec une corde à une branche solide, et on attend que le fruit mûrisse. La poire dans cette couveuse pousse plus vite que ses voisines. Quand elle a atteint la bonne taille, on détache la bouteille et on la remplit d’alcool. »

Quelle métaphore tirer de cette pratique ? Quelles poires couve-t-on dans les branches  du monde ?

Et qui boira la goutte ?

 Suggestions de Yomi :

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