Muettes (suite du billet du 29 octobre)

Il y a chez Christiane Veschambre un élément biographique, inscrit en profondeur, qu’elle partage avec Gérard Macé : l’existence d’une grand-mère analphabète et qui avait « fauté » comme on disait, taisant à jamais dans la honte le nom du géniteur de son enfant.

L’histoire de nos parents nous est obscure. C’est de cette obscurité que nous venons. Et celle de leurs parents l’était encore plus. Les enfants sont le fruit d’un engendrement continu d’énigmes. (Les Mots pauvres, p. 91).

Mais contrairement à la vermine de Kafka que j’évoquais dans mon précédent billet, la métamorphose en muette de la narratrice des Mots pauvres, tout en compliquant ses relations sociales, ne la met nullement au ban de l’humanité. Elle lui donne au contraire accès à une voix intérieure qui n’est plus destinée à séduire l’entourage, et à un silence qui lui permet de mieux entendre la respiration du monde.

 

 

 

 

 

 

 

Des œuvres plus tardives de Christiane Veschambre établiront également une relation entre une parole empêchée et la naissance en elle d’un nouveau type d’écriture. Dans Basse langue, elle y accède grâce à la lecture de livres de Duras, De Luca, Dickinson, Walser, qui l’ont tirée de son statut de petite fille lettrée pour lui faire rejoindre une voix d’enfant bègue, ou “privée de langue, une voix de grand-mère débile”. Ces lectures rouvrent “le sol lisse reformé au-dessus de la voix sans langue, la croûte toujours reconstituée par-dessus la vivante blessure”.

Dans « Écrire Un caractère », ce même rapport à « l’obscure présence d’une femme sans alphabet » déclenche Écrire, « enfant sauvage, écarté de la tribu, venu d’en deçà de la langue ».
Quelques pages avant la fin de ce livre, Christiane Veschambre nous fait part d’une lecture publique menée auprès de personnes que divers troubles ont rendues mutiques, mais capables de communiquer, assistées d’un éducateur, au moyen d’un clavier particulier. Dans la parole silencieuse qui émerge de ces bribes de textes, Christiane Veschambre retrouve avec émotion sa voix de muette :

Parole protégée de la circulation (du commerce), protégée de l’air extérieur comme les peintures sur les parois des grottes refermées, mains négatives vibrantes qui touchent sans gants ce que nous cherchons à tâtons dans le silence de l’écriture.

Lien vers une précédente lecture de Veschambre sur ce blog :

Lecture grumeleuse

Publié dans Non classé | 2 commentaires

La Muette

Ce nom de station de métro m’attire d’autant plus qu’il est accompagné de “Musée Marmottan”… Wikipedia m’informe qu’il provient du château de La Muette, et qu’il est probablement issu, par métathèse, de la meute dont se servait le propriétaire pour chasser dans le Bois de Boulogne. Meute muette et muse marmotte… C’est étrange et tranquille comme le château de la Belle au Bois Dormant.

Mais plutôt que de château je voudrais parler aujourd’hui d’écriture, avec la question : “Pour qui écrit-on ?”, et en donnant à la préposition le sens de “À la place de”.

À la place de qui écrit-on ?

Me passionne d’avance un livre acheté la semaine dernière au Marché de la Poésie et dont je n’ai encore lu que la première phrase :« L’autre matin je me suis réveillée muette ».

Comme la vermine de Kafka ?

Dans ce livre déjà vibrant pour moi, je me demande, pour avoir lu d’autres œuvres de Christiane Veschambre, si derrière cette narratrice subitement muette ne se profile pas le fantôme d’une Muette ancienne, mystérieuse source analphabète de son écriture. Je formulerai  des hypothèses plus solides dans un prochain billet sur ce livre qui, comme tous ceux de son auteure, va sans doute déjouer mes suppositions.

En attendant je me tourne vers Gérard Macé.

Raphaël : “La Muta”

Muta musa ?

La dernière séquence de son livre Colportage évoque le tableau de Raphaël intitulé La Muta, la Muette. Les dernières lignes du texte suggèrent ce qu’il avait dit plus explicitement à la fin des Trois coffrets :

Si ce visage m’a hanté dès que je l’ai vu, dans le journal qui le reproduisait en noir et blanc, ce n’est pas seulement parce qu’il est une allégorie du silence, un emblème de la chose peinte : c’est que nos mères lui ressemblent, avec leur façon jalouse de garder un secret.
Ce que la mienne gardait pour elle tenait sans doute en une phrase, autour de laquelle je tourne en écrivant.

Douleurs muettes, analphabètes, et rêves enterrés des femmes d’autrefois. C’est peut-être autour d’elles qu’on tourne en écrivant.

(À suivre)

 

Publié dans Non classé | 2 commentaires

Quelques usages du verbe faire

Faire du charme

Lorsque j’étais une jeune fille rangée, des cousins un peu bas de plafond me suggéraient, si je voulais obtenir quelque chose de quelqu’un – notamment d’un homme – de « faire du charme ». Ce conseil me paralysait. Il m’a toujours été absolument impossible de « faire du charme », et je disais ici et là que mon charme était de ne pas en avoir, rectifié un peu plus tard en « ne pas savoir en faire », et un peu plus tard encore en « ne pas vouloir savoir en faire ».

Qui s’aviserait aujourd’hui de donner pareil conseil aux filles ? J’ose espérer que même les cousins les plus benêts s’en abstiendraient.

L’art de la séduction n’a d’ailleurs aucun rapport avec le charme véritable qui n’existe que « dans la nescience de soi », si j’en crois Jankélévitch sur lequel je suis providentiellement tombée hier :

Chacun sait qu’un charmeur est un singe, que, s’il y a des recettes pour être charmeur, il n’y en a pas pour charmer; l’apprentissage dans ce domaine est une dérision (…) Rompu le préalable d’innocence sur lequel reposait la possibilité même d’un enchantement. (p. 97).

Aussi fluent que la musique, le charme se dérobe quand nous croyons le saisir.

 

Faire du, faire de la

Un ami américain s’amusait toujours de ce que les Français disaient : « — Je fais du jogging ». « — Moi je ne fais pas du jogging, je jogge, » disait-il.
Et moi je cours.

Nathalie Sarraute est sensible dans toute son oeuvre à cet usage pétrifiant de “faire du”, notamment dans Entre la vie et la mort, livre où “il est question d’écrivains et d’écriture” :

Je lisais un livre anglais… j’ai appris l’anglais de bonne heure… c’était un roman de Fenimore Cooper… un auteur que j’adorais… Un professeur s’est approché de moi, il a regardé par-dessus mon épaule et il m’a dit : Tiens, vous « faites » de l’anglais. Ce mot : faites… c’est comme s’il m’avait donné un coup.

Fare il médico

En italien, « fare il médico », c’est être médecin. Diafoirus, Purgon, ou Knock ?

Le Malade imaginaire, Honoré Daumier

Etc

 Je ne parlerai pas de “faire les châteaux de la Loire”, ni de “se faire une toile” (ou une fille). Quant à l’expression “faire dans” (“Vous faites dans la littérature ?”) elle est simplement répugnante.

Etc.

Publié dans Non classé | 2 commentaires

Tremble (une expérience de lecture)

Gauguin, “Le Sculpteur Aubé et son fils Emile”, 1882.

Benoît Colboc publie simultanément en diptyque aux éditions Isabelle Sauvage un livre rouge et un livre gris. J’ai commencé ma première lecture – comme tout le monde, j’imagine – par le rouge intitulé Topographie qui est plus gros, plus visible, plus narratif, plus évident, et dont le titre annonce la configuration d’un lieu et d’un milieu. “Une famille ordinaire”, dit la quatrième de couverture, “inscrite dans son époque, avec ses habitudes, ses qu’en dira-t-on, son entre soi ennuyeux. (…) La figure centrale est le père dont le suicide vient ébranler la distribution des charges et démentir les certitudes.”

Le narrateur entame son récit ainsi :

« Et ton père ?
Il s’est pendu libre à présent.
Libre ? »

Quant au petit livre gris intitulé Tremble, aux pages volantes et non coupées, il commence ainsi :

« Bats les peurs
Tremble et mes mains »

 

 

 

 

 

 

 

J’ai eu envie récemment de faire une deuxième lecture de l’ensemble, mais en commençant par Tremble, cette fois. Et dans les deux livres tout a immédiatement tremblé de plus belle : les mains du père atteint de Parkinson, le corps du fils, la corde qui tenait le père pendu à une poutre de son grenier… Tremble occupe le terrain au point d’être un nom propre, lieu principal de l’œuvre double. Ce mot devient, à l’issue de ma deuxième lecture de Topographie, le centre du séisme familial qui affecte toute la fratrie : « l’aînée et le dernier qui tremblent et pleurent de la même façon », et le frère, agriculteur comme le père, qui « chavire chagrin questions ».
Tremble fracture comme on le voit le récit linéaire, agglutinant ou isolant des mots, inachevant des phrases, affectant la conjugaison, la syntaxe, les catégories grammaticales : « Je silence et je peur », « À l’abandon de respirer j’étais l’enfanprêté »…

Au milieu de Topographie, on comprend clairement que Tremble n’est pas qu’un toponyme : l'”enfantprêté” est son autre nom. Le livre gris nous suggérait qu’il s’agissait d’un personnage né dans une « maison de force » où l’enfant est déshabillé au bout d’un lit. Topographie nous donne la clé : tous les vendredis « on me prêtait à un couple sans enfants à qui la mère voulait faire plaisir une nuit hebdomadaire », et ce couple de voisins se livre sur lui à « de petits viols ».

 Tremble, c’est enfin et surtout celui qui naît à l’écriture :

« vers Tremble écrit comme je vis
à la vitesse d’un tremblement » (Tremble).

Écriture dense et intense, produisant, reproduisant, avec les secousses qui lui sont propres, tous ces tremblements du sol de l’enfance.

N.B. Benoît Colboc est également l’auteur d’un blog littéraire dont les notes de lecture sont précédées d’une reproduction de tableau. Pour l’imiter dans cette pratique j’ai reproduit à mon tour un diptyque de Gauguin. https://lundioumardi.wordpress.com/lundi-ou-mardi-ou-le-role-eminent-du-lecteur/

 

Publié dans Non classé | Laisser un commentaire

L’Hirondelle d’Isabelle Alentour

Cherchant, dans mes maraudes littéraires, ce qu’un poème peut dire et faire, je tombe sur Isabelle Alentour dont l’amie Frédérique, « L’Hirondelle », aura « quinze ans pour toujours ».

J’hésite à employer l’expression « livre de deuil », tant ce recueil, composé trente-cinq ans après le choc « pour enfin inscrire ce qui n’avait jamais cessé de ne pas s’écrire », progresse en souplesse, par vaguelettes, « sans rien forcer d’ailes et de voiles », et reproduit un bouleversement que les mots ordinaires sont « à jamais trop petits » pour dire.

Le premier vers marque une chute brutale et comme suspendue :

Qui tombe ce matin dans l’ombre du matin

Ce « qui »  énigmatique est il relatif à un antécédent indicible, ou une interrogation qui ne trouve pas son point ?

Dans sa syntaxe, sa prosodie et sa typographie, le poème s’approche ainsi de l’abîme de manière lacunaire et progressive, en vers ou en prose, en italique ou en romain*, naviguant entre le passé-présent (ou sans verbe) des faits, et le présent de l’écriture. L’absente est désignée par un « elle » solitaire face au « nous » d’un groupe de filles apparemment insouciantes, dont se détache parfois un « je » qui sent que « derrière le masque » affleure « le tremblement ». Toute la fragilité de l’adolescence :

« Alors la Peur, la Grande Peur. Celle qui ôte le souffle, la fraîcheur du rire, celle qui oppresse, submerge, défait. La Grande Peur brutale, sauvage, totale. »

Chacune se sent renvoyée, solitaire, à sa propre chute :

« L’une a enjambé / l’autre a sauté / une autre encore implore / ou pleure d’insouciance.

C’est la même.

Chacune de nous aurait pu être hirondelle, nous voltigions si haut, hors d’atteinte. Chacune aurait pu s’envoler, se retourner, se jeter, qui sait ? »

La menace est bel et bien là, mais la chute de l’hirondelle déclenche ailleurs chez celle qui reste un mouvement vers le haut, élévation cosmique et fusion presque mystique :

Parfois je me mets à genoux

     je me penche en arrière
            comme un levier

     je regarde dans les étoiles
                   (plus loin
                      même
                 que les étoiles)

                     je l’appelle

                        et je fuse

Si bien que le poème se clôt en douceur par un court dialogue entre les deux filles que l’écriture peut enfin rapprocher :

– Je mourrais si je ne tiens pas ta main

                        – La douceur
                de ta main je l’éprouve

               me répond l’Hirondelle

              je ne l’ai jamais lâchée

Ce que fait ici le poème ? Il donne une main à l’amie envolée et aux adolescents que nous avons tous été.
« (…) C’est bien là, à hauteur de cœur, dans le vide creusé en soi par l’absente qu’insensiblement recommencera à battre la mesure du temps. L’attention aux vivants. »

Pour se procurer ce livre poignant : https://www.editions-aildesours.com/

* Je reproduis tel quel l’italique et réserve les guillemets au romain.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Publié dans Non classé | 3 commentaires

Je rôde

En ce moment je rôde.
Autour des livres, autour des choses, autour des gens,
je rôde.
Attendant que le hasard me promène ailleurs en moi.

 

Publié dans Non classé | Laisser un commentaire

Trois petites notes de septembre

Eichendorff

Je ne connais pas très bien la littérature allemande, et c’est par l’intermédiaire de Georges-Arthur Goldschmidt que j’ai eu le désir de lire Scènes de la vie d’un propre à rien de l’écrivain romantique Eichendorff, qui a immédiatement touché mon cœur par l’extrême proximité qu’il sait établir entre l’harmonie la plus céleste et la cacophonie la plus sinistre. Il est possible de passer sans transition d’un chant angélique aux insultes grossières proférées par un perroquet, et ce monde concordant-dissonant éveille en moi beaucoup de choses.

Dans le métro

Deux personnes sont sur une même banquette, à un siège d’écart : un jeune homme avenant qui lit une partition du Magnificat de Pergolese avec une expression de chant intérieur et un pied qui bat la mesure. Un vieillard qui roupille, la tête enfoncée dans le cou et dans le col du pardessus : on voit une longue chevelure grisâtre, un jean sale, un pied nu à demi enfoncé dans une basket et l’autre en dehors de la basket.
Deux paires de pieds et deux mondes dans le même rectangle de banquette.

Renouvellement

Ce blog a six ans, je viens d’en renouveler l’hébergement. Décidément, l’appellation Patte de mouette me plaît chaque année un peu moins. Elle me fait penser aujourd’hui à une enseigne de magasin de cabans, marinières et cirés dans une rue piétonne de station balnéaire normande. Je ferais mieux de l’appeler simplement Patte, ou Pâte. Je pourrais aussi lui attribuer un nom d’une plus haute tenue littéraire : Passages, en hommage à Michaux ; ou Fessepinte, en hommage à Rabelais ?

À suivre.

Publié dans Non classé | 9 commentaires

La coquille ne fait point le fruit

Septembre, la saison des noisettes.

Certaines sont rondes, dorées, énormes, et si dures qu’elles sont presque impossibles à casser. On s’arc-boute sur le casse-noix et on se pince le pouce en regrettant le bon vieux caillou qu’on n’a pas ici.
Et elles s’avèrent creuses. Pas même un asticot.
Cette forteresse protégeait le vide.

Il y a comme ça des petites choses qui semblent se tendre vers vous pour devenir des métaphores. « Celle-ci va me convenir aujourd’hui pour les pédants et la pédanterie », me disais-je en jetant ma coquille – c’est-à-dire la noisette entière – à la poubelle.

Puis j’ai ouvert le Prologue de Gargantua :

(…) Il faut ouvrir le livre et soigneusement peser ce qui y est exposé. C’est alors que vous vous rendrez compte que l’ingrédient contenu dedans est de bien autre valeur que ne le promettait la boîte.

J’ai ri tout haut des titres que Rabelais invente pour ses soi-disant ouvrages profonds à côté de Gargantua et Pantagruel : Fessepinte, La Dignité des Braguettes, Des Pois au lard assaisonnés d’un commentaire. Et au dernier paragraphe je n’ai pas été gênée qu’il me traite, avec les autres lecteurs, de vit d’âne*, car personne ne connaît la “substantifique moelle” que peut contenir, sous la plume de Rabelais, cet appendice.

*« interpellation à la fois grossière et affectueuse », dit en note le commentateur Guy Demerson.

 

 

 

 

 

Publié dans Non classé | Laisser un commentaire

Tu veux ou tu veux pas

Il me plaît en ce moment d’évoquer des vieilles chansons. Après celle de L’Auvergnat de Brassens, il y en a une, d’un tout autre style, qui me trotte parfois dans la tête et me met en joie : Tu veux ou tu veux pas, chantée en 1969 par le jazzman clarinettiste Marcel Zanini (qui d’ailleurs a occasionnellement joué avec Georges Brassens).

Pour ma part, ayant appartenu à une génération de filles qui se devaient de “vouloir” sans ambiguïté sous peine de passer pour “allumeuses”, “coincées” ou “mijaurées”, j’ai déjà parlé plusieurs fois sur ce blog  du « vorrei e non vorrei » de la Zerlina de Mozart dans son duo avec Don Giovanni. J’avais également évoqué l’écheveau des désirs du personnage de l’adolescent Ernesto, dans le récit autobiographique du même nom d’Umberto Saba, écheveau emmêlé de façon plus complexe, à mon avis, que ce qu’a proclamé la critique des années 70.*


Ce qui rend irrésistiblement drôle la chanson de Marcel Zanini, c’est que ce quadragénaire (actuellement nonagénaire), coiffé d’un bob comme un petit garçon, pose sa question avec une assurance tranchante que contredisent sa voix nasillarde, sa démarche maladroite et les tics de son visage.

Tu veux ou tu veux pas
Si tu veux, c’est bien
Si tu veux pas, tant pis
Si tu veux pas, j’en ferai pas une maladie
Oui, mais voilà, réponds-moi non ou bien oui
C’est comme ci ou comme ça
Ou tu veux ou tu veux pas

Tu veux ou tu veux pas
Toi tu dis noir et après tu dis blanc
C’est noir, c’est noir
Oui mais si c’est blanc, c’est blanc
C’est noir ou blanc mais ce n’est pas noir et blanc
C’est comme ci ou comme ça
Ou tu veux ou tu veux pas

La vie, oui c’est une gymnastique
Et c’est comme la musique
Y a du mauvais et du bon
La vie, pour moi elle est magnifique
Pour pas que tu la compliques
Par des hésitations (…)

Et voici la chute :

Quoi
Ah tu dis oui
Ah et bien moi j’veux plus
Ouh la la

Oui, la vie c’est une magnifique gymnastique. Quant au désir… Ouh la la.

* Voir billets des 9 et 30 janvier 2020.

Publié dans Non classé | 3 commentaires

La Chanson de l’Auvergnat

C’est, depuis l’enfance, une de mes préférées de Georges Brassens.

Elle est à toi cette chanson
Toi l’Auvergnat qui sans façon
M’as donné quatre bouts de bois
Quand dans ma vie il faisait froid…

Je pense au secours imprévu que peuvent vous apporter des personnes plus ou moins inconnues quand des membres de votre famille vous tiennent lieu de « croquantes » et de « croquants »… J’en ai aujourd’hui deux en tête :

Quand j’avais vingt ans, je me promenais au Marché aux Puces de Saint-Ouen, quand soudain j’ai été prise d’une angoisse immotivée, aussi intense que subite, qui m’a littéralement coupé le souffle et donné l’impression que j’allais mourir. Dans la foule qui m’entourait je me suis adressée à la première personne venue, et lui ai dit : « Je ne me sens pas très bien, est-ce que je pourrais m’asseoir un peu avec vous ? »
La jeune femme a immédiatement acquiescé, et dans le café m’a parlé d’elle avec une totale liberté, sans me scruter ni me poser une seule question sur mon état. Elle venait, m’a-t-elle dit, de décider de divorcer. Elle n’avait rien contre son mari, mais trouvait que la vie de couple était un enfermement qui l’empêchait d’ouvrir les yeux sur le monde et les gens. C’était justement ce qu’elle était en train de faire pour moi, et tout ce qu’elle disait contribuait à m’inspirer confiance et à me calmer. Nous nous sommes séparées sans savoir nos noms respectifs, je n’ai plus aucun souvenir de son visage, mais je pense encore quelquefois à elle comme à un ange.

Ange au sourire, cathédrale de Reims

La deuxième personne qui m’a apporté – sans savoir à quel point – un secours à un moment crucial n’était pas une inconnue. Elle s’appelait Madame Lecomte, professeure d’harmonie. J’avais 22 ans, ma vie personnelle était confuse, et j’avais quitté la fac de Nanterre avant la fin de ma licence pour me consacrer à l’étude de la musique à l’école d’art Martenot. Malheureusement, n’étant pas pianiste, j’avais du mal avec l’art d’accorder les sons entre eux. Madame Lecomte, voyant mes difficultés, m’a donné un jour un cours particulier chez elle. Je me vois assise devant son piano et ne comprenant rien à ce qu’elle m’explique. Au bout d’un moment, ses mains quittent le clavier, elle me regarde et me dit : « Qu’avez-vous fait en dehors de la musique ? » Je dis : « Des Lettres, mais j’ai arrêté ». Elle dit : « Pourquoi vous ne reprenez pas vos études de Lettres ? »
J’ai fondu en larmes.

J’étais accablée, désespérée, avec peut-être au fond une pousse de soulagement ? Un espoir prenait fin mais une vérité se dégageait.

Je ne dirai pas que Madame Lecomte était un ange musicien. Elle était juste une vraie pédagogue, et c’est beaucoup : quelques jours après cette scène je lui rendais un devoir d’harmonie correct, et au mois de septembre je retournais finir ma licence à Nanterre. Quant à ma vie personnelle, c’est au fil des années qu’elle est sortie de la cacophonie.

Je souhaite à mes deux Auvergnates d’être conduites après leur mort, plutôt qu’ “à travers ciel au Père éternel”, dans les bosquets embaumés et myrteux des Champs Elysées.

 

Publié dans Non classé | 10 commentaires