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Demeures fugitives et lieu secret
Sur la question des lieux intérieurs que j’abordais lundi, voici un message de Jacques Robinet qu’il me laisse amicalement publier ici.
“Tu l’as compris, je parle d’un lieu irradié d’un amour, ressenti comme dangereux ou interdit. Lieux de l’enfance qui parfois nous devancent car ils sont ceux que notre mère habitait avant même notre naissance. L’Espagne est indissolublement liée au maternel et à la propre enfance de ma mère qui était hantée par les paysages de la Mancha où elle avait vécu de sept à treize ans, plus ou moins. J’ai attendu sa mort pour aller visiter ce pays perdu. Ce fut un choc, tant la beauté de ce que je découvrais correspondait parfaitement à l’imaginaire que je portais en moi.
Voilà pour l’anecdote. Mais plus avant, je suis frappé par le lien qui existe entre les lieux et ce que nous y avons vécu. Ainsi Paris est devenu pour moi une ville pleine de repères secrets. Je ne peux passer dans certaines rues où j’ai habité sans me retrouver violemment replongé dans une époque de ma vie. Tout se passe comme si nous ne cessions jamais de reconstruire la matrice de notre vie utérine. Je le sens ici même dans cette maison que j’ai adoptée il y a dix-sept ans, que je trouvais ingrate au début et que je ne peux plus quitter longtemps sans un peu d’angoisse et de regret.
Bien sûr tout cela peut sembler étrange à qui n’a pas l’expérience de l’analyse, mais c’est ce que je ressens sans étonnement aujourd’hui. Nous ne cessons de recréer des “demeures fugitives” (titre d’un beau récit de Mauriac) pour survivre à la perte du lieu originel, le “lieu secret”.”
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« Peu de lieux suffisent »
Je citais l’autre jour ici Pierre Peuchmaurd : « Peu de lieux suffisent à une vie et aux plus longs voyages… Peu d’espace, même, pourvu qu’il soit tout l’espace »
J’ai lu au cours de l’été un certain nombre d’écrivains qui m’attirent par la profondeur de leur relation à un lieu devenu « tout l’espace », qu’il soit occasionnel comme les Ardennes d’Un Balcon en forêt de Julien Gracq, ou natal comme le Piémont de Cesare Pavese qui forme le sol intime de son expérience créatrice.
Je lis par exemple dans Le Diable sur les collines : « Je pensai à tous les lieux qu’il y a au monde et qui appartiennent ainsi à quelqu’un, que quelqu’un a dans le sang et que personne d’autre ne connaît. »
Dans les premières pages de son Journal Le Métier de vivre datées de 1935, Cesare Pavese s’interroge durant plusieurs jours sur ses relations de poète avec sa région :
Toutes mes images ne seraient-elles pas autre chose que d’ingénieuses variations sur cette image fondamentale : tel pays natal, tel moi ? Le poète serait une image incarnée, inséparable du terme de comparaison enraciné et social du Piémont.
Mais il arrive curieusement aussi ‒ sans parler ici des écrivains voyageurs dont le but est d’« en sortir » ‒ que les lieux fondamentaux d’un auteur soient à peine mentionnés dans son œuvre. Je m’entretenais en octobre dernier avec Jacques Robinet dont la poésie se nourrit volontiers de la beauté du monde, et je me montrais intriguée que la Castille n’y apparaisse pas comme un terreau privilégié.
Moi : — Il y a une question que je brûle de te poser : je sais que l’Espagne ‒ plus exactement la Castille, terre maternelle ‒ t’émeut, dis-tu au plus haut point (Un si grand silence, p. 24-25). Je pense en particulier à cette maison de la Mancha, non loin de Ciudad Real, où ta mère Carmen a vécu dans son enfance et que tu m’as montrée sur une vidéo.
Pourtant, je trouve peu de traces dans tes poèmes de cette terre « aux couleurs fauves, livrée à une lumière qui la consume », comme si elle ne faisait pas partie de ton paysage poétique. Est-ce exact ?
Jacques Robinet — (…) L’Espagne… J’en parle peu, mais elle est partout en moi, et même invisible, dans ce que j’écris. Elle est cette rivière asséchée qui, à certains moments, se gonfle pour me déborder, comme le font celles qui parcourent les terres arides de Castille. Je suis, par le sang, aux trois-quarts espagnol, puisque ma mère l’était à cent pour cent, et mon père à moitié par la sienne. L’Andalousie et la Castille mêlent leur sang dans mes veines, où la France joue des coudes pour imposer son misérable petit quart normand, qui n’est jamais parvenu à me faire battre le cœur. J’appartiens, au plus intime de moi-même, à l’autre pays. Si j’en parle peu, c’est qu’il est d’abord le pays de ma mère, et que tout ce qui touche à elle fait partie de ma brûlure. L’Espagne et un trop grand amour… un feu qu’il faut approcher avec prudence. Sais-tu qu’il m’est arrivé d’écrire des poèmes en espagnol ou, plus souvent, de les improviser en marchant, comme on fredonne un chant venu de très loin. Je les efface aussitôt. Secret préservé d’un échange amoureux qui ne finira jamais.
« Peu de lieux suffisent à une vie » : notamment ceux qui brûlent secrètement depuis l’enfance à l’intérieur de soi.
On trouvera l’entretien complet dans le magazine poétique en ligne Poezibao, ainsi que la référence du dernier livre de Jacques Robinet, La Monnaie des jours : https://poezibao.typepad.com/poezibao/2020/10/entretien-jacques-robinet-avec-nathalie-de-courson.html
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L’apothéose de l’impératoriteur
L’impératoriteur mourant entre dans son cercueil d’un pas de défi :
« Ma volonté est de mourir debout ».
On redresse le cercueil et on attache l’impératoriteur aux parois. Il dit dans un râle :
« Ma volonté est de mourir libre ».
On détache les liens, on installe une coque dans son dos. Il dit, les yeux révulsés :
« Ma volonté est de mourir sans prothèse ».
On ôte la coque, on installe un joli parapet en tek. De ses mains décharnées, il secoue le parapet :
« Ma volonté est de mourir sans bordure ».
C’est à ce moment que les libérateurs qui assiégeaient la ville depuis trois semaines enfoncèrent les portes mal fermées de cette dictature vermoulue, saisirent l’impératoriteur par le ventre sur la pointe de leur pique et le promenèrent dans les rues. Les derniers instants du moribond furent consacrés à son effort pour se tenir droit sur la pique qui lui transperçait l’abdomen.
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L’impératoriteur
Flore et Léa jouent sous les grands marronniers. Elles appellent les plus gros marrons qu’elles ramassent des impératoriteurs. « Tiens, regarde, j’ai un impératoriteur ! » Le mot qu’elles viennent d’inventer est là, tout près, fait pour leur jeu qui consiste autant à ramasser des marrons qu’au plaisir de répéter : “Regarde mon impératoriteur !”, “Non, ça c’est pas un impératoriteur !”
Joie de l’automne et joie des mots, du glanage et du langage.
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Anniversaire
Aujourd’hui ces pattes de mouette ont cinq ans.
J’ai commencé le blog par ce que j’appelais grattilités : je m’amusais à palper des mots agaçants qui se traînaient dans ma tête, comme mousmé, fragrance. Je jouais aussi à comparer des mots de plusieurs langues, comme chauve-souris et murciélago, ou à créer des mots réjouissants, comme l’adjectif grat qui, pour une raison inconnue, n’a jamais obtenu en français le statut d’antonyme d’ ingrat.
Peu à peu le blog s’est davantage tourné vers la littérature sans doubler les notes de lecture que je fais de temps en temps pour des magazines. Je me livre plutôt ici à des promenades littéraires « à sauts et à gambades », notant un détail qui me touche chez un écrivain pour le comparer à un autre écrivain, le relier à un paysage, à une expérience, ou à des préoccupations secrètes.
Je crois que ce qui relie ces billets entre eux, c’est moins leurs thèmes que leur ton, une petite gaieté qui me tient lieu d’inspiration.
Je profite de cet anniversaire pour vous dire, à vous qui me lisez et parfois me commentez, que je vous en suis sincèrement grate.
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Montesquieu au lycée
Voici ce que j’écrivais en 2014∗ :
Lison tente d’expliquer à ses lycéens le fameux chapitre 5 du livre XV de L’Esprit des lois : « De l’esclavage des nègres ».
« — Regardez bien la première phrase, car tout est là :
Si j’avais à soutenir le droit que nous avons eu de rendre les nègres esclaves, voici ce que je dirais.
Remarquez bien qu’il s’agit d’une phrase… Oui, Kevin, il y a le mot nègre, mais regardez le si ! Qu’exprime le conjonction si ?… Oui, c’est ça, une condition ou une hypothèse : si j’avais ; suivie du conditionnel : je dirais… Si j’avais à, que nous dit ce verbe ?… Que dites-vous, Habsatou ? « Les nègres » ?… Oui, Samuel, à l’époque ce n’était pas une insulte comme aujourd’hui, regardez la note 1 du texte. Si j’avais à… Verbe exprimant une obligation : “si je devais, si on m’imposait de justifier l’esclavage, voici ce que je dirais…” Est-ce que Montesquieu veut réellement justifier l’esclavage ?… A votre avis ?… Non, évidemment ! »
Les élèves, inégalement convaincus, hochent plus ou moins la tête. Lison ne veut pas baisser les bras.
« — Regardez la suite : est-ce que ces arguments sont logiques ? Peut-on, quand on est philosophe des Lumières, trouver naturel le massacre des Indiens d’Amérique qui entraînerait obligatoirement l’esclavage des Africains pour défricher les terres américaines? »
Lison redoute l’arrivée de l’argument 3, il faut que d’ici là tout le monde ait saisi l’ironie du texte.
« — Alors, est-ce que ça a du sens de rendre les gens d’un continent esclaves parce qu’on a massacré ceux d’un autre continent ?… Et l’argument économique qui suit : Le sucre serait trop cher s’il n’était cultivé par des esclaves, à quoi fait-il allusion ?… Oui, Samuel, au commerce triangulaire… C’est le fond de l’affaire, non ? »
Lison sent que son débit de parole se précipite : “Imaginez à Bordeaux un gros armateur de bateaux en perruque…” Respire, Lison, moins de gestes avec tes mains, n’avance pas le cou vers eux, laisse-les réfléchir au lieu de répondre à leur place.
— Il faut qu’ils franchissent deux caps, se dit-elle, l’un qui concerne le recul historique, et l’autre l’ironie.
« — Qu’est-ce que l’ironie ? Oui, Diarra… Nous y sommes. Stessie, vous bavardez depuis cinq minutes avec Meggie, qu’est-ce qu’il y a ? Quoi, les nègres ? Mais on vient de dire que… »
L’heure tourne. Lison évalue que Samuel, Kevin et Diarra ont saisi l’ironie du texte, que d’autres sont intrigués, inquiets, bougons ou malheureux. Il faut en arriver à l’argument 3, le voici, mais pourquoi Meggie et Stessie ont-elles cessé de parler ?
Ceux dont il s’agit sont noirs des pieds jusqu’à la tête ; et ils ont le nez si écrasé qu’il est presque impossible de les plaindre. « Qui pouvait soutenir pareille idiotie ? » dit Lison sans respirer.
Silence inhabituel. Habsatou rejette ses nattes en arrière et finit par dire timidement : “Mais… c’est vrai qu’on a le nez écrasé “. Rires, protestations, brouhaha.
A la fin de l’année, Habsatou, accompagnée de Meggie et Stessie, demande en privé à Lison: « C’est vrai, Madame, qu’au bac les noirs de la classe ne seront pas interrogés sur Montesquieu ? — Qui vous a dit ça ? — Madame Habilys, quand elle a interrogé Franz à l’oral blanc, lui a dit : “Si j’avais su que vous étiez black (le terme racisé n’existait pas encore), jamais je ne vous aurais donné ce texte à expliquer.”»
2020 : Je salue le courage des enseignants de Lettres qui osent encore faire découvrir à leurs élèves – parfois contre leurs collègues – le texte le plus implacablement antiesclavagiste de la littérature française.
∗ Eclats d’école, éditions du Lavoir Saint-Martin, 2014. Tous les faits rapportés ont eu lieu au début des années 2010 dans une classe de première économique et sociale d’un lycée parisien.
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Jessica la jeune manucure
Pour Francis
En 2010, Jessica la jeune manucure me raconte en me faisant la beauté des mains :
« Je veux être gendarme depuis un jour, dans le RER. J’étais avec ma mère, et monte un couple de toxicos. La fille met ses pieds sur la banquette, presque sur ma mère. Ma mère dit : “Vous voudriez bien pousser vos pieds ?” Le toxico a hurlé sur ma mère : “Sale négresse, tu devrais même pas exister, t’existes pas, t’es qu’une négresse”. Moi j’avais 8 ans et j’étais terrifiée, cachée derrière mon livre. Et ma mère qui supportait tout ça. A la fin elle s’est levée : “Oui, je suis une négresse, j’existe pas, je suis rien”. Les toxicos se sont tus. Depuis je veux être gendarme. C’est ma mère qui veut pas. »
Je ne sais pas si cette mère s’est levée dans la réalité ou dans le désir de sa fille. Je ne sais pas non plus si Jessica a par la suite écouté sa vocation. Je pense maintenant à Clarissa Jean-Philippe, tuée en janvier 2015, à laquelle Guy Konopnicki a rendu récemment sur radio J un très émouvant hommage.
En voici le début :
Je veux vous parler d’une jeune femme noire.
D’aucuns diraient « racisée », mais je n’aime pas ce terme.
Elle était assurément descendante d’esclaves amenés à fond de cale à La Martinique.
Elle était féministe, révoltée contre les violences subies par les femmes, à commencer par sa mère.
Elle disait à son père : « Un jour je serai policière et c’est moi qui viendrai t’arrêter, pour que tu cesses de frapper ta femme. »
Elle a tenu parole, elle est devenue policière, pour protéger, en priorité, les femmes et les enfants.
Curieusement, on ne brandit pas son portrait dans les manifestations féministes, et son nom ne figure pas parmi ceux que l’on placarde dans les rues. On ne la compte pas parmi les femmes victimes de violences.
Et cette descendante d’esclave, cette femme noire, n’est pas considérée comme une héroïne par les « indigénistes », par ceux qui prétendent représenter les gens de couleur.
Elle a pourtant été abattue, lâchement, d’une rafale de kalachnikov tirée dans le dos. Abattue par un homme.
Elle avait 26 ans. Elle est tombée à Montrouge, le 8 janvier 2015.
Elle s’appelait Clarissa Jean-Philippe.
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Deux chambres à soi
Pour une femme qui veut écrire, « il est nécessaire d’avoir 500 livres de rente et une chambre dont la porte est pourvue d’une serrure », disait Virginia Woolf en 1928 dans son fameux essai Une Chambre à soi.
A mesure que se déroulent les siècles on devient plus exigeante. Aujourd’hui, je trouve qu’il faudrait avoir au minimum 1500 euros de rente et deux chambres à soi. La première est la chambre officielle : le bureau contenant la bibliothèque personnelle, les dossiers personnels, l’ordinateur personnel, et l’imprimante où la maisonnée vient faire ses tirages. La fenêtre peut ouvrir, comme celle du poète Jean-Pascal Dubost, sur la forêt de Brocéliande avec ses lièvres, ses renards, ses grommellements de sangliers et ses brames de cerfs. Mais elle peut aussi donner sans dommage sur l’immeuble d’en face. La deuxième chambre serait un appentis, un « carin » comme ont les gens du Nord au bout de leur petit jardin potager. Ou alors, une mansarde avec une table à tréteaux sous un velux à travers lequel on ne voit que des nuages pendant que des insectes circulent sur la vitre un peu sale. En voici un qui marche, s’arrête, repart. On dirait un bébé sauterelle. La femme qui écrit a sur sa planche de travail des cahiers à spirales et des stylos de toutes les couleurs pour tenter certaines conjointures secrètes, mais elle se demande surtout si elle ne doit pas aider maternellement ce bébé sauterelle à sortir. (On croit toujours que les insectes qui sont sur les vitres veulent sortir alors qu’il s’agit peut-être de xylophages aspirant à se repaître de nos poutres et fenêtres).
Marguerite Duras dit qu’on « écrit sans le savoir, à regarder une mouche mourir », et que « la mort d’une mouche c’est la mort en marche vers une certaine fin du monde, qui étend le champ du sommeil dernier » (Ecrire, 1993). Ceci ne me concerne pas de très près car mon insecte, mort ou vif, ne soulève en moi aucune aile tragique d’écriture. Je ne me soucie pas beaucoup non plus, dans le sillage de Virginia Woolf, d’élargir avec mes deux chambres la place des écrivaines dans la littérature.
Mais alors, quel est mon propos ? C’est de parler d’une tendance à doubler les nids d’écriture, notamment ceux qui échappent à la connectique et la bureautique. Le deuxième nid peut être le café du coin, un banc de jardin, ou simplement la page de gauche d’un cahier. Mon propos est aussi de parler d’une autre tendance qui consiste à sortir, nez en l’air, du travail qu’on s’est fixé en contemplant un insecte ou le passage des nuages. Ma jeune sœur disait dans son adolescence : « Ma personnalité c’est de ne pas en avoir. » Je peux presque dire que mon sujet, aujourd’hui, c’est de ne pas en avoir. Ou qu’écrire est amusant et un peu angoissant.
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Conjointure, disjointure, écriture
Il y a des mots que je lis et que je n’emploie guère, mais qui confusément me concernent et que je n’oublie pas, comme s’ils se déposaient dans un appentis du coin de ma tête. C’est le cas du mot conjointure, lu chez Chrétien de Troyes qui le fait rimer avec « avanture » dans le Prologue d’Erec et Enide (vers 13-14).
Dans la préface de son édition du Chevalier de la charrette, la médiéviste Catherine Croizy-Naquet explique que la conjointure est le troisième terme de l’esthétique de Chrétien de Troyes.
Les deux premiers, donnés par « ma dame de Champaigne » (la Comtesse Marie sous la protection de laquelle il écrit), sont matiere et san : la matière et le sens.
La matiere, c’est celle de Bretagne, les récits arthuriens.
Le san, c’est l’orientation, l’esprit de ces aventures de chevalerie et leur valeur didactique.
Chrétien de Troyes n’a aucune aspiration à l’originalité dans la matière ou le sens. Ce qui lui appartient en propre et lui donne sa vraie dignité de narrateur et de poète ; ce qui le met à mille lieues des vulgaires jongleurs de cour et lui permet de parler de lui-même en se nommant fièrement « Crestiens de Troies » dès les premiers vers de son premier roman Erec et Enide, c’est « une moute bele conjointure » : l’art d’assembler avec beauté les sons, les mots, les phrases, les épisodes du récit.
Mais Catherine Croizy-Naquet ajoute que Chrétien de Troyes pratique aussi l’art de la disjointure : ce n’est pas l’inverse de la conjointure, mais une mise en question de la logique narrative des précédents récits arthuriens qui lui permet de mettre l’accent sur ce qui est à ses yeux l’essentiel : l’amour absolu de Lancelot pour la reine Guenièvre. Sans être spécialiste, il me semble que ceci a des effets évidents sur le « san », et que l’amour courtois a besoin des vers harmonieusement assemblés par Chrétien de Troyes pour mieux se connaître.
Conjointure, disjointure. Ces mots riment avec « aventure », et aussi avec « écriture ».
L’aventure d’écriture n’est-elle pas celle d’une conjointure-disjointure ?
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Propos d’insomnie
Pour Lulu
Hélène Hoppenot raconte dans son Journal (éditions Claire Paulhan) que la femme d’un diplomate collègue de son mari nommait fièrement, en bonne pondeuse, ses enfants : “Mon numéro un, mon numéro deux, cinq, six, etc.”, et je me souviens que maman critiquait cette pratique assez courante. Il faut dire qu’avant que la contraception ne se développe librement dans nos pays, les couples qui ne pratiquaient ni l’abstinence ni le coïtus interruptus (et encore moins l’avortement) avaient parfois, dans les premiers temps de leur mariage, un enfant par an pendant trois ou quatre ans. Puis ils se calmaient et entamaient de manière mieux planifiée leur deuxième série d’enfants. Les grands constituaient donc un groupe bien distinct des petits.
Dans une famille nombreuse chaque enfant porte, profondément ancré en lui, le numéro qu’il occupe dans la fratrie. S’il m’est arrivé dans un récit d’appeler mes personnages Triolette, Quartette et Quintette, c’est donc autant par réalisme social que par motif musical.
Être le dernier des grands, affirmais-je péremptoirement à trois heures du matin (on est souvent péremptoire dans les insomnies), n’est pas très avantageux, car les yeux tournés vers les plus grands, on est dédaigné d’eux tout en partageant leur dédain pour les petits. En revanche, quand on est l’aîné des petits on sait qu’on n’est qu’un chétif insecte aux yeux des grands. On peut alors se tailler la première place dans les sphères inférieures avec une liberté d’autant plus grande que les regards des dieux parentaux sont eux aussi lourdement fixés sur les aînés. Est-il aussi avantageux d’être le dernier des derniers, né inopinément 10 ans après le faux dernier et chouchouté par toute la famille ? Pas sûr, car tout en étant adulé par maman et papa, ce tardillon est chargé de réaliser toutes les espérances que les aînés ont déçues.
Ces propos feront bâiller d’ennui quiconque n’appartient pas à une famille nombreuse ou a décrété depuis longtemps : “familles je vous hais”. Mais ce que j’avance ne peut-il pas s’appliquer à d’autres domaines ? me dis-je maintenant, à 11 h du matin. Vaut-il mieux faire partie du bas de la haute ou du haut de la basse ? Le dernier violon du Boston Symphony Orchestra est-il plus heureux que le chef de l’Harmonie municipale de Mézidon-Canon ?
Inépuisable sujet de comédie. “Une bourgeoise, contente dans un petit village, vaut mieux qu’une princesse qui pleure dans un bel appartement”, dit à l’acte I scène 1 de La Double inconstance Silvia, qui deviendra à l’acte III scène 10 une princesse contente dans un bel appartement.
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