Notelettes d’août

Il ne m’arrive pas rien
mais pas grand-chose non plus.
Rouge-gorge sur la branche
du noisetier.


Quand je vois mon toit pointu
j’éprouve une joie d’accueil.
J’aime mieux les pans de toit
que les rooftops.

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S’autotraduire

Je ne parle pas ici des cas célèbres de Nabokov ou de Beckett, mais de deux romanciers espagnols que j’ai rencontrés récemment et qui ont écrit chacun deux versions d’un même roman.

La première version en aragonais — langue de leurs ancêtres et de leur terre.
La deuxième version en castillan — langue nationale, scolaire, très largement partageable.

Les deux m’ont dit qu’ils avaient modifié leur récit dans la deuxième version, car le castillan affadissait le contenu de la version aragonaise. Elena Chazal, dans Lo que nunca se olvida (Ce qui jamais ne s’oublie), a par exemple écourté ou éliminé des éléments se rapportant aux travaux des champs, et y a introduit des références à Paris au moment des événements de mai 68.

Le cours et la logique de la langue adoptée la conduisaient imprévisiblement vers d’autres espaces et d’autres activités.

À chaque langue son élan, ses paysages, sa matière propre.

Je m’apprête à traduire en français un texte du siècle dernier savoureusement écrit en  aragonais. N’étant pas l’autrice, je n’aurai pas la liberté de transformer les mulets en voitures électriques.

Tant pis. (Ou peut-être tant mieux.)

 

 

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Retour à Paris

Dans l’autobus assez plein monte une femme algérienne accompagnée de quatre enfants :  un de quatre ans, un en poussette, une dans les bras, et une de deux ans qui se tortille debout près de la poussette. La femme est jeune et simple, si sereine que pendant trois ou quatre stations personne ne songe à lui céder sa place. Une autre jeune femme finit par le faire.

Arrive un ivrogne efflanqué à casquette, homme d’un autre siècle surgi des Pieds nickelés ou d’un livre de Charles-Louis Philippe. Il grommelle : « Fallait me laisser la place. C’te femme-là, elle est pas de chez nous, on donne pas sa place à une qu’est pas de chez nous.» La femme qui avait cédé son siège réplique : « C’est les racistes qui n’ont rien à faire dans ce bus. » La jeune mère dit : « Merci Madame. » Croquignole grommelle. Un jeune homme assis lui dit : « Non mais t’arrêtes ? Si tu continues je te casse la gueule. » Silence dans le bus. Croquignole maugrée plus doucement. Une place à côté du jeune homme se libère. Croquignole s’y installe largement et re-grommelle. Nous retenons notre souffle. Le jeune homme dit : « Tu pues de la gueule. T’arrêtes de parler et de me souffler à la figure ou je te casse la gueule. » On entend encore quelques grognements, quelques « tu pues de la gueule »…

Et le calme revient dans l’autobus.

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Paris à longueur d’été


Sur un banc du square, une longue cosse blanche. Ou un fantôme fatigué ?
Invisible sur la photo, une chaussure.
Ou deux ?
Je m’inquiète un peu et je sors du square.

Sur le boulevard un géant maigre porte deux sacs au bout de ses longs bras. Je sais ce qu’il y a dedans : des longs pantalons lavés qu’il va suspendre aux grilles. Puis il s’assiéra dans l’abribus en attendant que ça sèche. De temps en temps il gesticulera en poussant des cris. Ses bras auront l’air encore plus longs et les passants s’écarteront.

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Cariño

Il y a dans le monde hispanique une chose irremplaçable, el cariño.

Il peut se traduire par tendresse, affection, mais c’est aussi une attention à autrui (que l’on trouve dans le mot anglais care, aujourd’hui bien galvaudé), et une manière amicale, sensible, confiante d’être en société.

Ayant été amenée, grâce à l’éditeur Charles Mérigot, à fréquenter des professionnels du livre des deux côtés des Pyrénées, je m’amuse à comparer les courriers envoyés d’un éditeur à l’autre. Du côté espagnol, on tutoie. Du côté français, on vouvoie. La fin d’un courrier français est : Bien à vous, Bien amicalement. La fin d’un courrier espagnol est : Un abrazo (accolade familière). Quand un Espagnol s’efforce d’écrire son abrazo final en français, cela peut devenir : Un câlin (1ère traduction de « abrazo » dans le dictionnaire bilingue Reverso !)

***

Une librairie hispanophone – la seule qui restait – va fermer ses portes à Paris.
Elle s’appelle – s’appelait – s’appelle encore Cariño.

Nous allons essayer, si nous le pouvons, de contribuer à la préserver.

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Sur les langues

 

J’ouvre les volets. Un ouvrier dans la rue siffle en travaillant et ça me fait du bien.
En Espagne les gens chantaient souvent en travaillant.

***

« Aucune langue n’est langue maternelle », dit Marina Tsvetaeva.
Au risque de m’attirer un certain nombre de « c’est pas ça » je crois plutôt que toutes les langues sont maternelles.
(Il existe, bien sûr, des marâtres).

Le français, l’espagnol, l’anglais, l’arabe, le russe, le chinois et toutes les langues sont pour moi maternelles car elles sont faites de chair, de peau, de grains de la voix. (Est-ce leur faute si des régimes dictatoriaux les corrompent, comme l’analyse lumineusement Victor Klemperer dans  LTI, la langue du 3ème Reich ?)

Je comprends le chagrin profond d’André Markowicz quand sa langue la plus maternelle devient celle de l’envahisseur.

***

Ma question maintenant est : suis-je monolingue ou bilingue ?

Réponse : je ne suis pas monolingue mais je ne suis pas parfaitement bilingue. Ma langue est indécrottablement le français. Maternel, paternel, grand-paternel, grand-maternel, ancestral. Et scolaire au lycée français de Madrid — avec des nuances, car une petite partie de notre enseignement primaire était dispensé en espagnol. Dans le secondaire notre LV1 était aussi l’espagnol.

Ce bilinguisme imparfait est ce qui me pousse aujourd’hui à traduire de l’espagnol (je n’ai pas envie de traduire autre chose). Dans ma fréquentation de cette langue — maternelle selon ma définition mais pas tout à fait mienne — je retrouve des pans de mon enfance : rochers, arbres, aliments, odeurs, manières de parler, de sentir, de danser, de chanter en arrosant un chantier… et j’en suis heureuse.

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Sans langue maternelle

Marie-Paule Farina, dont la mère d’origine espagnole parlait français avec son mari et ses enfants, évoque son rapport à la langue française ainsi * :

Moi, je n’avais pas de langue maternelle, ni écrite, ni orale. Mon français (…) était à la fois langue paternelle, langue de l’école, langue littéraire, mais jamais il ne fut langue maternelle.

Elle se sent proche en cela de Derrida dans Le Monolinguisme de l’autre : « Je n’ai qu’une langue et ce n’est pas la mienne », phrase qui a pour variante : « Je ne parle qu’une langue et ce n’est pas ma langue maternelle ».

Marie-Paule Farina précise que, tout en ayant passé son enfance et sa jeunesse en Algérie, elle n’est pas juive comme Derrida, pas “israélite indigène d’Algérie”, pas dépossédée d’une histoire, d’une langue, voire de nationalité française en 1940. Elle ne se sent pas à plaindre non plus en tant que pied-noir ou femme… Le registre victimaire n’étant pas le sien, elle cherche seulement à dire, et elle dit bien :

Entre les Français et nous tous, il y avait une mer et pour franchir cette mer il fallait être le meilleur, (…) exagérer, toujours exagérer pour tenter, sinon de se faire voir, au moins de se faire entendre.(…) Aucune critique de l’institution scolaire n’aura pu faire taire ce qui ressemblera toujours en moi à quelque « dernière volonté » (…) : parler en bon français, en français pur…
(…)

Parler en « bon français », ne retrouver son accent que dans de rares moments d’émotion et dans le privé, uniquement dans le privé et surtout, surtout qu’à l’écrit cet accent ne se retrouve pas et que rien ne laisse percevoir qu’on est Français d’Algérie.
(…)

Et une phrase importante :

Je suis monolingue d’une langue qu’il m’est impossible de quitter puisque je n’en ai pas d’autre et dans laquelle, pourtant, je me sens toujours sous surveillance.

Cette langue est celle dans laquelle Marie-Paule Farina trace ‒ avec un manque, un poids, une complexité ‒ son sillon d’écriture.

Car ce qui compte, c’est qu’il y ait langue. Ou du moins, comme dirait Derrida, promesse de langue.

Pourquoi est-ce que ces réflexions me touchent, moi qui me plais à dire – beaucoup trop vite – que j’ai deux langues maternelles ?

À examiner !

* Post Facebook du 3 juillet 2023.

 

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Vénus et Adonis

Parmi les contributions au livre de Marie-Christine Masset D’une rive à l’autre (éditions Tituli, 2023), il y en a une qui m’enchante : celle de Vénus Khoury-Ghata.

Cette poète franco-libanaise fait régulièrement le pont entre l’Arabe et le Français, ce qui lui fait adopter des positions très nettes.

La langue arabe est sentimentale, dit-elle, et la langue française est devenue au cours du temps plus sèche, conceptuelle, précise. Pour passer de l’arabe au français et ne pas perdre l’âme du texte, il faut donc élaguer, rogner. Lorsqu’elle traduit en français le poète syrien Adonis, elle ne garde, dit-elle, qu’une métaphore sur deux et un adjectif sur trois. Mais étant le traducteur arabe de sa poésie à elle, Adonis se venge en y ajoutant les ornements qui conviennent au génie de sa langue.

Titien, “Vénus et Adonis” (détail), Madrid, musée du Prado

Ceci donne de drôles de dialogues entre eux :

M’ayant accusée d’avoir trop élagué son poème, Adonis m’a un jour lancé : “C’est comme si je commandais une sole dans un restaurant et qu’on m’apporte une arête dans mon assiette.” ” Pourquoi tu renverses mon poème ? Pourquoi tu commences par la fin ?” ai-je protesté à mon tour.

Traduire un poème revient à produire de la pluie avec un morceau de nuage, dit-elle pour terminer.

Voilà ce qui se passe « quand les poètes traduisent les poètes », selon le sous-titre  approprié du livre de Marie-Christine Macé.

Vénus Khoury Ghata et Adonis. Photo Ambassade du Liban à Paris

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Dans le Passage

Dans le Passage qui mène à Carrefour city, je vois arriver — si on peut dire arriver — un vieil homme chancelant, appuyé d’une main sur le mur et tenant de l’autre une canne sans savoir l’utiliser.

Je lui propose mon bras et nous convenons que je l’emmène jusqu’au bout du Passage. Il me dit : « Ensuite je prendrai le métro pour boire mon café à Saint-Ambroise ».

À mesure que nous avançons — si on peut dire avancer — il m’explique qu’il habite au n°11 avec son frère jumeau et qu’il est atteint, depuis une dizaine d’années, d’une maladie évolutive handicapante, « alors que lui n’a rien. » (Comme il est injuste d’être le mauvais jumeau…)

Mètre après mètre son projet de Saint-Ambroise me semble plus irréalisable et je crois que lui aussi commence à s’en apercevoir. Je lui demande : « Vous êtes sûr que vous vous sentez en forme pour descendre les escaliers du métro ? ». Je dis aussi des choses comme : « Il y a des jours où ça va mieux que d’autres, vous ne devriez peut-être pas forcer aujourd’hui… » Il reconnaît qu’il est déjà tombé récemment et je le vois de plus en plus préoccupé, sombre. Peut-être se dit-il qu’il est entré dans une phase de sa maladie qui l’empêchera à tout jamais de prendre le métro.

Son bras est lourd et le Passage ne m’a jamais semblé aussi long.

Je l’installe sur une chaise du boulevard pour qu’il appelle son frère. Quand je reviens de Carrefour city la chaise est vide.

Il m’a dit son âge, c’est le mien.

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« Un léger désespoir »

C’est le titre d’un livre récent de Jacques Ancet.

Fidèle à  ma pratique, je l’ai ouvert au Marché de la poésie à n’importe quelle page et suis tombée sur :

Couché, on croit savoir mais on n’en sait pas plus.
La nuit

Ne porte pas conseil. Au contraire. Elle vous met la
tête à l’envers.

Un élan d’affection m’a donné un petit rire et j’ai lu la première page. Je ne comprends pas toujours pourquoi les poètes parsèment leurs pages d’espaces blancs, mais j’en ai trouvé ici la nécessité évidente. Celle des majuscules aussi, comme autant de petits départs.

J’ai acheté le livre. De tous ceux que j’ai achetés la semaine dernière (maintenant presque tous lus), c’est celui qui me touche le plus.

L’exergue, de Paul Valéry, dit : La beauté c’est ce qui nous désespère.

On est loin de la célèbre phrase d’un personnage de Dostoïevski — un peu vite attribuée à son auteur — et qu’on se répète pour se rassurer : La beauté sauvera le monde.
La beauté n’a jamais rien sauvé et ne sauvera jamais rien.

Ce n’est pas une raison pour ne pas chercher à la frôler :

La beauté est trop violente comme la douleur. Ne la regarde pas.
Ou si tu la regardes, oublie ce que tu vois, garde seulement
Les ombres et la lumière avec ce qui fuit et que tu ne reconnais plus.
Garde le vent qui t’enveloppe mais que tu ne vois pas.
Tu ne sens que ce frôlement et ce léger désespoir qui te guette toujours…

J’en resterai là pour aujourd’hui car ce blog doit rester, lui aussi, léger comme un petit coup de patte
(mais je tiens en réserve d’autres commentaires pour ici ou pour ailleurs).

 

 

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